inimitables et au besoin se transforment en mécaniciens-inventeurs. Des qualités de cet ordre ne s’improviseraient pas ailleurs.
Nous voudrions aussi communiquer à nos lecteurs l’impression satisfaisante que nous a laissée l’examen de cette industrie. Dans cette bourgade, insignifiante en elle-même, habite une population ouvrière saine, joyeuse, intelligente, adroite, convenablement rémunérée et jouissant de l’inappréciable bienfait du travail en famille, ayant le choix aussi du travail moderne à l’atelier, dont les inconvéniens réels sont corrigés par certains avantages. L’avenir est donc rassurant.
Aussi ne peut-on reprocher aux familles gangeoises ce manque de fixité si funeste aux ouvriers contemporains. Patrons et employés sont bonnetiers depuis de longues générations, très attachés à leur lieu de naissance. S’ils ont quelquefois émigré, ç’a été dans les villes de la région ou, à l’époque de la crise, vers les nouvelles usines comme Troyes ou la Fère-Champenoise, mais, la plupart du temps, pour revenir chez eux dès que les fabriques du pays natal ont repris une suffisante activité. Depuis bien des années, la population de Ganges, sans augmenter, mais sans trop diminuer, oscille faiblement : les quelques vides qui se produisent sont aussitôt comblés par l’arrivée des Cévenols des hauts plateaux. Chose curieuse, ce sont plutôt les familles protestantes qui abandonnent Ganges et des catholiques qui s’y installent.
Est-ce à dire que tout soit parfait à Ganges ? Écoutons les pessimistes. Sans doute, disent-ils, la fabrication du bas de soie au métier français reprend à la suite d’une longue et rude épreuve, mais ce n’est qu’un coup de fouet passager, motivé par l’approche de l’Exposition de 1900. D’ailleurs, la jeunesse d’aujourd’hui, trop impatiente, ne s’exerce plus au maniement si délicat du métier à bras et préfère l’apprentissage infiniment plus facile du métier mécanique. Enfin il ne se fabrique plus de métiers de l’ancien type.
Très réelle et fort grave, cette difficulté ne nous semble néanmoins pas insoluble. D’abord les antiques appareils ont la vie dure et longtemps suffiront à soutenir la lutte. Et puis, la loi inexorable de l’offre et de la demande saura bien vaincre les hésitations des nouvelles recrues et les forcera, grâce à l’élévation des prix, à continuer de produire les jolis ouvrages qui rendent la bonneterie gangeoise sans rivale au monde.
ANTOINE DE SAPORTA.