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D’ailleurs, qu’est-ce qui n’est pas troublé, mêlé et confondu ? Il en est en petit comme en grand, et dans les méthodes de travail comme dans les relations entre eux de l’exécutif, du législatif, et du judiciaire. Nous disions tout à l’heure que la discussion du budget devant la Chambre n’avançait que très lentement ; mais comment avancerait-elle ? A propos du budget de l’Instruction publique, le rapporteur, M. Maurice Faure, et divers orateurs après lui, ont développé des vues encyclopédiques, dont le principal défaut était sans doute de ne point venir en leur lieu. « Encyclopédiques » est le mot, puisque M. Carnaud, non sans une prolixité redoutable, a fait à la Chambre, sur « les idées de Condorcet » et « la morale scientifique, » une de ces conférences que, depuis quelques années, on propose comme tâche supplémentaire au zèle des instituteurs qui désirent se faire bien noter par l’inspecteur d’Académie. Ce n’est point que M. Carnaud ne soit tout aussi éloquent qu’un autre : dans le Midi, ils le sont tous ! et, s’il est vrai, comme d’éminens critiques l’ont prétendu, qu’il n’y a d’éloquence que du lieu commun, que d’éloquence on prodigue chaque jour à la double tribune de notre Parlement, comme dans les agapes et réunions de toute sorte par lesquelles se prolonge à l’extérieur une vie politique où la parole est le seul véhicule ou le seul instrument de l’action !

Faut-il avouer que M. Léon Bourgeois lui-même, qui est incomparablement le plus athénien des hommes d’État de l’Extrême-Gauche, ne réussit pas toujours à éviter le poncif ? Nous n’en voulons pour preuve que la récente harangue qu’il fulminait, après un banquet fraternel, contre « le péril clérical » ou « congréganiste. » De son côté, M. Ranc, journaliste de qui personne, en ses bons jours, ne s’aviserait de contester la vigueur, a adressé aux électeurs sénatoriaux une circulaire dont le même prétendu péril fait, d’un bout à l’autre, tous les frais et qui, dans la Seine-Inférieure, s’il y eût eu un Sénat en ces temps déjà reculés, lui eût mérité le suffrage de M. Homais, délégué du conseil municipal d’Yonville. Mais que deux hommes aussi distingués, par des qualités à la vérité différentes, que M. Ranc ou M. Léon Bourgeois n’aient, à peu près dans le même instant, trouvé à dire que ces banalités, voilà qui n’est pas ordinaire, qui ne peut être l’effet du hasard, qui doit cacher un plan, et qui sent son complot. Le mystère (si ce terme religieux n’est pas ici trop impropre) n’est, au demeurant, nullement impénétrable : car tout le secret ne serait-il point de masquer sous ce voile le vide absolu de la politique radicale ?

Pauvre vieux spectre, un peu démodé et usé, et tant de fois bien