Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la France, mais seulement celle des villes et des localités plus ou moins importantes du littoral.

« Un peu d’ordre dans les ports ; un peu plus de commandement ; des magasins plus nombreux, mieux installés, mieux placés surtout que ceux qui existent (mais très faciles à construire sans dépenser beaucoup d’argent) ; beaucoup plus d’outillage pour la manipulation du matériel et des munitions, voilà ce qui manque, ce qu’il faudrait réaliser rapidement. Il n’y a pas de difficultés sérieuses, si vous le voulez. Reste l’élément le plus important, celui sans lequel, même avec le plus puissant matériel, les soldats, les marins les plus braves, les mieux entraînés, les officiers les plus distingués, sont voués à la défaite, c’est la confiance. Cet élément, Monsieur le Ministre, c’est de votre âme qu’il doit sortir pour tout le monde. Quelques mots dits par vous hardiment à la tribune y suffiront.

LE MINISTRE. — Quelle responsabilité vous me feriez prendre ! Je ne la prendrai pas, car je n’ai pas confiance.

LE GENERAL DIRECTEUR. — Eh bien, Monsieur le Ministre, cédez la place à un croyant, ou demandez résolument qu’on supprime les amiraux, les flottes et le budget de la Marine. » Hélas ! amiral ou civil, ce ministre, comme ses prédécesseurs, avait subi le contact des politiciens, et, avec eux, sans s’en apercevoir, il en était arrivé à désirer la paix perpétuelle, la paix armée, qui est censée préparer la guerre et pendant laquelle on administre tranquillement un énorme budget, on commande, fièrement et sans risquer sa réputation, des forces qui font bel effet dans une revue navale.

Dans ces conditions, le patriotisme nous faisait un devoir d’informer le chef de l’Etat, M. Félix Faure, auprès duquel nous avions un facile accès en raison de nos anciennes et excellentes relations du temps où il était ministre de la Marine. L’enthousiasme de ce bon Français, amoureux des choses de la guerre, était alors sans mesure ; il me l’exprimait très librement ; il me prodiguait des éloges et des félicitations, dont je garde le meilleur souvenir. Mais il s’arrêtait quand je lui disais respectueusement de ne pas laisser continuer une campagne débilitante, déshonorante, dangereuse pour notre pays. Connaissant bien son impuissance réelle, il concluait, en me reconduisant, par ces mots : « Voyez votre ministre, poussez-le ; je n’y peux rien, s’il ne va pas de l’avant. »