Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les dimensions, les uns isolés et semés au hasard, les autres groupés en archipel, ceux-ci développés en longs alignemens réguliers, d’autres jetés pêle-mêle en avant-garde, un petit nombre habités et même assez fertiles, la plupart à peu près perdus, souvent inconnus, fragmens détachés du squelette de la vieille Armorique, qu’ils semblent entourer d’une défense jalouse et dont ils rendent l’approche toujours pleine de dangers.

Presque toutes les anses de la Bretagne ont leur port ; quelques-unes même en ont plusieurs. Les uns sont sur la côte même, les autres très enfoncés dans l’intérieur des fiords. On ne saurait énumérer toutes les petites plages d’échouage le long desquelles les barques de pêche vont chercher un abri temporaire contre les coups de mer imprévus ; mais le nombre des ports construits, régulièrement entretenus et classés, est déjà de près de 120, et ils sont tous nécessaires à cette admirable et vaillante population bretonne qui est bien l’honneur et la force de notre marine nationale.

La Bretagne en effet est avant tout un pays marin. Familiarisé dès l’enfance avec le spectacle des tempêtes, le Breton, loin d’en être effrayé, en est au contraire charmé et réellement fasciné. La mer l’attire comme un aimant. Il vit d’elle, avec elle, et pour elle. Ce n’est pas pour lui une affaire d’intérêt, car son travail est dur, et son gain en général bien modeste ; mais c’est l’immensité, l’inconnu, le danger, tout ce qui parle le mieux au cœur de l’homme. La mer pour le Breton c’est son champ, sa vigne, son atelier. Les pieds semblent lui brûler sur le sol, et le dernier des enfans n’éprouve une sensation de bien-être et de liberté que lorsqu’il peut, les jambes nues, courir sur l’estran, marcher sur les varechs et le sable mouillé, encore mieux sur les planches de la moindre barque. Pendant de longues heures, il ne joue pas et reste immobile, debout devant un quai ou sur la grève, regardant le flot qui s’élève et s’abaisse, le navire qui oscille sur place ou évolue au large, et il rêve au départ. La mer sera sa compagne, son associée, sa grande pourvoyeuse, et elle est bien tout cela en effet ; mais c’est aussi une amie capricieuse et exigeante. Il est son amant toujours, son maître quelquefois, mais bien souvent aussi sa victime. Elle lui promet, lui donnera peut-être ses trésors, mais elle lui prend son cœur, son âme et sa vie.

C’est par centaines de milliers qu’on peut compter les marins de tout âge et même de tout sexe, qui vivent de la mer sur les