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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/890

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vieux proverbe breton ; et les marins exercés, seuls, peuvent s’y risquer à coup sûr.

L’île de Sein est un plateau de pur granit, très bas, — 1m,50 à peine au-dessus des plus hautes mers, à l’exception de quelques blocs isolés. Les saillies les plus élevées de la roche ne dépassent pas 6 mètres. Dans ces conditions de relief, elle est naturellement inondée et balayée par tous les coups de mer un peu violens, et dépourvue complètement de sources. Pas un arbre, d’assez médiocres bruyères seulement, et quelques pauvres champs entourés de pierres sèches qui produisent de l’orge, des pommes de terre, un peu de légumes à peine suffisans pour une population très dense de près de 800 habitans, groupés dans de misérables maisons, que la mer, dans ses mauvais jours, a plusieurs fois emportées. Pour empêcher la destruction complète de ces tristes demeures, il a fallu entourer une partie de l’île d’une digue qui n’arrête pas sans doute toutes les inondations, mais qui brise les vagues, et est en somme une garantie assez sérieuse. Les hommes sont tous pêcheurs, et la pêche principale est celle des crustacés, des langoustes et des homards, qui abondent tout autour dans les anfractuosités de tous les îlots rocheux. Il n’y a dans l’île aucun ouvrier pratiquant un métier quelconque. Les femmes vaquent aux menus travaux agricoles ou ramassent du goémon, que l’on expédie sur le continent pour en extraire de la soude ou de l’iode. L’île est complètement ceinturée par quelques rochers isolés, apparens ou cachés, tous inhabitables, presque tous tout à fait inabordables. Tous ces écueils faisaient certainement corps jadis avec elle, et constituaient l’ancienne insida Sena de l’Itinéraire d’Antonin, beaucoup plus vaste que l’île actuelle. On y trouve encore quelques restes de vieux menhirs et plusieurs dolmens ; et, si l’on en croit le géographe Mela, elle était renommée par son oracle gaulois, dont les neuf prêtresses vierges appelées « gallicènes » avaient le pouvoir de déchaîner les vents et les tempêtes et de prédire l’avenir[1]. Elle était, donc connue et habitée de toute antiquité, et on peut même croire qu’elle avait autrefois plus d’importance que de nos jours. L’archipel d’écueils rocheux qui la prolonge à l’Ouest sur près de 15 kilomètres et qu’on appelle la « chaussée de Sein » est incontestablement un des passages les plus dangereux de l’Océan ; et

  1. Pomp. Mela, III, VI, 6.