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Au milieu de ces jours sans trouble, où tout était espérance et repos, personne ne songeait aux difficultés et aux intrigues que la princesse était appelée à trouver à Versailles. A la cour, au contraire, on pensait déjà à l’y mêler et à prendre possession de la jeune influence qu’elle y porterait. M. de Fréjus n’avait pas manqué, dès que le mariage avait été décidé, de lui écrire ses félicitations et ses hommages, et elle avait répondu au précepteur du Roi, de qui elle n’ignorait pas l’importance. Mais voici qu’une ambassade féminine lui était directement envoyée à Strasbourg : c’était l’amie de M. le Duc qui la remplissait elle-même et la lettre qu’elle avait pour Stanislas ne laissait aucun doute sur ses intentions : « Je profite du départ de Madame de Prie, écrivait le prince, pour faire remettre cette lettre à Votre Majesté et j’envie bien le bonheur qu’elle va avoir de l’assurer elle-même de son attachement et de son respect… J’ai pris la liberté d’instruire Votre Majesté, de beaucoup de choses sur tout ce qui se passe dans ce pays ; mais, comme la prudence défend de les écrire et que je suis sûr du secret de Madame de Prie, je l’ai chargée d’en rendre compte à Votre Majesté et de ne lui rien cacher, croyant qu’il y a des choses que notre Reine future serait peut-être bien aise de savoir. Ce sera à Votre Majesté à en juger, et toute la grâce que je lui demande est de les garder pour elle seule et pour la princesse sa fille. »

Il importait en effet au ministre et à la favorite que leur future maîtresse reçût, sur les hommes et les choses de la cour, les impressions qui leur convenaient et qu’elle prît en eux, dès l’abord, une confiance absolue. Mme de Prie la mit surtout en garde contre les menées sournoises de M. de Fréjus. Elle profita en même temps de la liberté qui lui fut laissée pendant plusieurs jours pour s’insinuer au meilleur de son affection. Comme elle jouait à merveille tous les rôles pouvant la servir, ce fut celui de l’ingénuité qu’elle s’imposa. Il sauvait, aux yeux de Stanislas, ce qu’avait d’assez équivoque l’influence dont il bénéficiait. Quant à Marie, elle était toute aux sentimens d’une reconnaissance que Mme de Prie cultivait jusque dans les plus petits détails et par les présens les plus intimes : en attendant l’arrivée du trousseau complet de la princesse, la marquise montrait qu’elle n’ignorait pas l’humiliant dénuement de sa garde-robe, et le premier cadeau qu’elle faisait à sa future souveraine était celui d’un lot de chemises.