ce soir-là même le petit divertissement que Voltaire avait préparé. Le premier gentilhomme chargé d’organiser les spectacles a craint sans doute de faire des jaloux parmi les rimeurs qui se sont tous mis à célébrer la Reine. « Je crois, écrit le nôtre, que tous les poètes du monde se sont donné rendez-vous à Fontainebleau. La Reine est tous les jours assassinée d’odes pindaresques, de sonnets, d’épîtres et d’épithalames. Je m’imagine qu’elle a pris les poètes pour les fous de la cour. » Mais, peu de jours après, Voltaire est content : on a joué ses pièces ; il a été présenté par Mme de Prie ; Sa Majesté, qui a décidément du goût, lui a parlé de la Henriade, comme si ce poème en manuscrit l’intéressait fort. Il écrit sa joie à tous ses amis : « J’ai été très bien reçu par la Reine. Elle a pleuré à Mariamne, elle a ri à l’Indiscret ; elle me parle souvent ; elle m’appelle mon pauvre Voltaire. » Il se voit déjà poète royal et gratifié comme tel ; sa verve s’enflamme ; il a beau avoir de l’esprit, il n’imagine point que c’est Adrienne Lecouvreur et non Mariamne, qui a fait pleurer la Reine, et il lui dédie sa tragédie, en attendant mieux. Voici quelques vers de cette épître, mieux coulans en somme que ce flot monotone épanché six mois durant dans le Mercure par les faméliques du Parnasse et les rhétoriciens des collèges de jésuites :
- … La fortune souvent fait les maîtres du monde ;
- Mais, dans votre maison, la vertu fait les rois.
- Du trône redouté que vous rendez aimable
- Jetez sur cet écrit un coup d’œil favorable ;
- Daignez m’encourager d’un seul de vos regards ;
- Et songez que Pallas, cette auguste déesse
- Dont vous avez le port, la bonté, la sagesse,
- Est la divinité qui préside aux beaux-arts
Voltaire est trop avisé pour aller, comme tant d’autres, jusqu’à la flagornerie de la beauté : Pallas le dispense de Vénus. En revanche, il exalte, ainsi qu’il convient, la gloire du roi Stanislas, oubliant que la veille encore il se moquait avec les autres de « la demoiselle Leczinski. » Les dispositions de l’opinion ont du reste assez promptement changé ; la bonne grâce de Marie a désarmé les préventions de cour ; la consommation du mariage et l’empressement si apparent du Roi viennent d’entourer sa jeune tête d’un prestige de fidélité et de respect. Quant au peuple, qui n’entend rien à la politique, il voit seulement qu’on a amené une bonne femme à son cher petit roi ; aux fêtes qui se font dans