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ANNIBAL CARRACHE.

Les Carrache étaient de véritables artistes : leur principale préoccupation ne consistait pas à se procurer à tout prix des commandes rémunératrices. Les contemporains s’accordent surtout à vanter le désintéressement excessif d’Annibal. Il n’avait passé aucun contrat, pour le tableau de Saint-Roch, avec la confraternité de Reggio. Pourquoi se serait-il montré plus prévoyant au moment d’entrer au service du cardinal Farnèse ? Les recherches auxquelles je me suis livré pour découvrir chez le notaire des Farnèse, aussi bien que dans l’Archivio Notarile du Capitole, un acte quelconque relatif aux peintures du palais de Campo de’Fiori, sont restées infructueuses. Il convient donc d’admettre, jusqu’à preuve du contraire, que le cardinal n’exigea aucun devis des travaux qu’il confiait au peintre bolonais et que celui-ci s’en remit, dans une certaine mesure, à la générosité de son nouveau patron. Les archives de Modène contiennent d’autre part la preuve indirecte qu’Annibal ne s’était pas transporté à Rome dans le seul dessein de peindre la galerie à laquelle son nom reste attaché, mais plutôt pour servir le cardinal et exécuter les ordres que Sa Seigneurie voudrait bien lui donner. C’était une place avec un traitement fixe qu’on lui proposait et qu’il accepta. Il va sans dire que le traitement mensuel ne pouvait être exclusif d’une rémunération plus large, selon la nature des travaux exécutés.

Bellori rapporte dans ses Vite de Pittori, Scultori ed Architetti qu’Annibal commença par peindre pour Odoardo une Chananéenne qui fut placée dans la chapelle du palais. Le même auteur ajoute que, tout en se préparant à l’œuvre capitale de la Galerie, l’artiste entreprit la décoration du cabinet de travail du cardinal. Cette dernière assertion est très acceptable. Il eût fallu, en effet, que Carrache fît preuve d’autant de présomption qu’il avait de modestie pour aborder, sans études préliminaires approfondies, un ouvrage aussi considérable que les fresques de la Galerie. Le simple bon sens l’engageait à réfléchir longuement et à s’entourer de documens avant de broyer ses couleurs. À quoi pouvait-il mieux employer ses loisirs qu’à la décoration d’une pièce secondaire ? En poursuivant ce travail, il se faisait la main, en quelque façon, sans exposer sa réputation d’étranger à de dangereux hasards. La médiocrité relative de ces peintures constitue un autre argument en faveur de la version de Bellori, acceptée par Malvasia et conforme aux brèves indications de Baglione.