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ANNIBAL CARRACHE.

ira se reposer sur ses lauriers. Les autres compositions célèbrent à l’envi le triomphe du Bien et la défaite du Mal : les frères Catanais dont les feux de l’Etna respectent la piété filiale, — Méduse punie de sa folle présomption, — Ulysse échappant par ses ruses et avec l’appui des dieux propices aux séductions des sirènes et aux pièges de Circé ; car, par vertu, il faut entendre, au sens antique et italien du mot : avec le courage et la persévérance, l’habileté et la captation des influences surnaturelles ; par vice, la volupté improductive et la vanité puérile.

Bellori louait fort Annibal d’avoir introduit la philosophie dans ses peintures, à l’exemple de Polygnote, et composé un ouvrage qui convenait scrupuleusement au cabinet de travail d’un grand de ce monde. On comprend désormais pourquoi Annibal a tant peiné. Ce ne fut pas sans une grande fatigue cérébrale qu’il dut s’attacher à des déductions incompatibles avec sa nature. Il se plia sans doute à la direction des prélats lettrés qui faisaient la compagnie du cardinal Farnèse. Il s’efforça de les suivre dans leurs subtilités et d’imprimer à ses figures un caractère allégorique. Les amis de Mgr Agucchi éprouvaient sans doute un plaisir sans mélange à découvrir dans l’attitude et les traits d’Hercule la trace de la lutte que se livraient dans son âme les passions rivales. Ils se pâmaient d’aise à démêler les signes voilés, présages assurés du triomphe de la Vertu, dans la présence du vieillard qui se disposait à célébrer les prouesses du héros et dans le laurier symbolique qui ombrageait le front du futur demi-dieu de son rameau penché.

Le peintre bolonais était parvenu à satisfaire pleinement le cardinal Odoardo : c’était pour lui le principal. Les contemporains ratifièrent, cela est indubitable, le jugement de Farnèse. Malvasia ne nous apprend-il pas que certains critiques n’hésitaient pas à élever les fresques du Cabinet au-dessus de celles de la Galerie ? Il y a beaux jours que les connaisseurs sont revenus sur une opinion aussi peu fondée. Aujourd’hui, ces peintures ont poussé au noir, mais ce n’est pas seulement la fraîcheur qui leur fait défaut ; elles prêtent à des reproches infiniment plus graves. Sans parler de la division de l’espace, qui pourrait être plus heureuse, comment passer condamnation sur la médiocrité des compositions et, pour tout dire, sur la vulgarité des principaux personnages ? C’est à peine si, parmi les figures, on en rencontre une intéressante, celle de Circé. Quelques-unes sont indignes