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ANNIBAL CARRACHE.

Bacchus figure au premier plan, assis sur un char d’or traîné par deux tigres. Il est nu, avec une peau de panthère nouée autour du cou, et le thyrse à la main. Son attitude décèle une irrémédiable mollesse, son visage une grâce efféminée et le plaisir de vivre. Ariane est près de lui, sur un second char auquel deux chèvres sont attelées. En avant, et peut-être un peu trop séparé du premier groupe, le cortège habituel du dieu. Le vieux Silène, ventru et aviné, est juché sur son âne, soutenu à grand’peine par des satyres ; il échange un regard libertin avec une femme couchée au premier plan ; son visage est, paraît-il, le portrait d’Augustin Carrache. Autour du Silène se meut une troupe de satyres et de bacchantes en proie au délire dionysiaque. On distingue un Pan avec une outre sur les épaules, une femme jouant éperdument des cymbales, un satyre dont la main agite une baguette, un autre satyre qui souffle dans une conque de toute la force de ses joues gonflées. Tous ces personnages offrent une variété d’attitudes, une originalité d’expressions incomparables ; ils marchent, ils se démènent avec une intensité de vie qui a été rarement surpassée. Des amours accompagnent, envolant, le cortège du dieu et achèvent d’animer la scène. — Annibal a travaillé longtemps et amoureusement à perfectionner ce grand tableau, destiné à concentrer l’attention du spectateur. La composition respire, à un haut degré, le souffle de l’antiquité. On sent que le peintre s’est attaché à suivre avec passion les leçons qui se dégageaient des bas-reliefs et des sarcophages qu’il avait sous ses yeux.

Il faut déplorer qu’Annibal ait cédé à la tentation de placer au premier plan deux figures purement décoratives qui, étrangères au sujet, ne contribuent qu’à en troubler l’harmonie. Il y a là une faute de goût imputable au temps où vivait le maître plutôt qu’au maître lui-même. Sans cette fausse note, la composition serait à peu près parfaite.

À droite et à gauche de la Bacchanale, sont deux tableaux représentant Pan qui offre à Diane la laine de ses troupeaux et Pâris qui reçoit des mains de Mercure la pomme du jardin des Hespérides. Dans le premier de ces tableaux, le dieu des campagnes rend à une divinité supérieure l’hommage dû à son rang ; Diane apparaît dans les airs tenant l’arc d’une main, agréant de l’autre le présent qui lui est fait. Dans le second, le berger Paris est assis sur une pierre, lorsque Mercure se montre à lui, tombant en quelque sorte du ciel par une chute perpendiculaire ; la main du dieu tendue en