LA PETITE MANIÈRE. 15
du retard, et, quand les deux couples atteignirent enfin la jetée, ils virent le bateau qui se détachait du môle et filait à toute vapeur dans la direction de Morgat...
— Les dieux ne l’ont pas voulu ! s’écria le peintre, en saluant d’un coup de chapeau le bâtiment dont le panache de fumée se confondait avec les brumes du crépuscule ; nous voilà forcés de rester en panne... Rivoalen et M me Desjoberts n’ont plus qu’à courir au télégraphe pour expliquer notre aventure, tandis que nous irons à l’hôtel surveiller les apprêts du dîner... Dès qu’il fut seul avec Lucile, il prit le bras de la jeune fille et, le serrant tendrement contre le sien :
— Je suis heureux ! lui chuchota-t-il à l’oreille, quelle bonne longue soirée nous allons passer ensemble !... En quoi il se trompait. M m6 Desjoberts revint de la poste de fort méchante humeur. Elle avait essayé de nouveau d’induire Rivoalen à la tentation, et les floches de ses cajoleries s’étaient émoussées contre l’impassibilité ironique de son compagnon. Le dîner s’en ressentit. Tonia argua des circonstances et des responsabilités que lui imposait la présence de sa sœur cadette, pour jouer au sérieux son rôle de chaperon. Elle se montra tout à coup pleine de rigoureux scrupules et prit son bougeoir aussitôt après le dessert.
— Demain on se lève de bonne heure, déclara-t-elle, et nous avons besoin de nous reposer, ma sœur et moi... Bonsoir, messieurs !
Et Salbris, qui les guidait courtoisement à travers les couloirs,
l’entendit, non sans un désagréable sentiment de déception, fermer
à double tour la porte de la chambre qu’elle partageait avec
Lucile.
VI
Après la chaude soirée de la veille, un orage a éclaté vers minuit, et quand, de bon matin, les quatre voyageurs quittent l’Hôtel du Commerce, ils trouvent les rues détrempées par l’ondée nocturne. Les moyens de transporta Sainte- Anne sont beaucoup moins faciles que ne l’affirmait l’hôtesse. Toutes les voitures sont déjà louées ; quant aux embarcations disponibles, elles sont parties de très bonne heure, à cause de la marée. Lucile et Jacques Salbris, heureux de se retrouver et de jouir, n’importe où, d’une