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oppositions préméditées auxquelles il semble qu’Annibal dédaignait de recourir. Voilà des raisons de nature à accréditer l’opinion des écrivains du XVIIe siècle. Mais de ce qu’Augustin a peint ces tableaux, s’ensuit-il qu’il les ait conçus et dessinés ? Bellori n’est pas de cet avis. La National Gallery de Londres possède les cartons de la Galatée parcourant les mers et de l’Aurore enlevant Céphale. M. Edward Poynter, l’éminent président de la Royal Academy, a bien voulu les faire photographier à mon intention. Je les ai étudiés attentivement ; j’ai comparé les photographies aux fresques. Cet examen me conduirait à conclure contre Bellori. L’attitude de Galatée aux bras du triton marque une langueur à laquelle les autres femmes de la Galerie ne succombent pas. Elle apparaît moins simple, moins antique, moins sculpturale. Le mouvement des bras, la position des doigts qui retiennent la draperie offrent sur le carton, aussi bien que dans la fresque, un caractère particulier de recherche. L’arrangement de la chevelure, l’expression du visage, le sourire dégagent une grâce apprêtée qui rappelle la beauté et les séductions d’Armide. Sous le peintre, on devine un lettré fort au courant de la littérature à la mode. Quant à l’ordonnance générale, est-il nécessaire de rappeler les analogies qu’elle présente avec la fresque que Raphaël a consacrée au même sujet dans une des salles de la Farnesina ? Ces analogies témoignent d’une certaine sécheresse d’invention dont il serait inique d’accuser Annibal, mais qui peut plus justement être imputée à son frère. L’Aurore enlevant Céphale, infiniment plus médiocre, prête à moins d’observations que la Galatée ; toutefois, comme les deux tableaux se font pendant, que les historiens ne les séparent pas, que les deux cartons sont dessinés d’une manière analogue et qu’ils ont subi les mêmes vicissitudes, il y a des raisons de croire que les deux compositions ont le même père et qu’il n’est autre qu’Augustin.

C’est peu après avoir achevé cet ouvrage, que l’aîné des deux frères trouva le moyen de se brouiller avec le second. Malvasia accuse naturellement Annibal d’avoir provoqué la rupture, par jalousie, parce que les amis de Farnèse avaient laissé échapper ce jugement : le graveur a vaincu le peintre. Allégation arbitraire, qui ne repose sur aucun fondement sérieux ! On se souvient que, dès leur adolescence, les deux frères ne s’entendaient qu’à demi, malgré leur mutuelle affection. Annibal, écrivant de Parme au chef de la famille, lui parlait du penchant qui entraînait son aîné