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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/21

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LA PETITE DERNIÈRE. 17

un jet de salive, une fois au large, nous emmagasinerons peut-être un brin de vent.

Douarnenez, néanmoins, s’éloigne peu à peu : les maisons du port, les futaies de Plô-mar fuient confusément dans une buée qu’argent ent de rapides coups de soleil. On arrive en vue de la plage du Riz, où les vagues déferlent sur le sable d’un jaune d’or. Tout à coup le vent se lève, la voile se gonfle, et la Belle-Marie file allègrement vers l’anse de Tréfentec.

— La voilà, la brise demandée ! s’écrie gaiement Jacques Salbris.

Kardec relève la tête et regarde du côté du Nord-Ouest : toute cette partie de la baie a disparu sous un rideau de nuées noires ; on ne distingue plus la côte de Morgat, où la pluie semble tomber à verse.

— Hum ! bougonne le patron, le vent est mal tourné... Mauv ; i i s temps !

Pendant un quart d’heure, on continue à marcher à belle allure. On distingue déjà, à cinq cents mètres, la pointe rocheuse de Tréfentec et l’entrée de la rivière. Mais le ciel s’est couvert de plus en plus ; les nuages sont très bas, la mer devient houleuse, et, dans une rafale de vent, le grain accourt ; la pluie commence à tomber.

— Salaud de temps ! jure Kardec, impossible de continuer, nous irions nous briser’ sur les rochers... Jette l’ancre ! Amène la voile ! commande-t-il au moussaillon et à l’homme d’équipage... Nous voilà bloqués ici, en attendant l’embellie.

— Et si l’embellie ne vient pas ? demande Rivoalen.

— Nous serons forcés de retourner à Douarnenez.

— Jamais de la vie !... maugrée Tonia Desjoberts, on nous attend à Sainte-Anne, et, si on ne nous voit pas venir, que va-t-on imaginer, bon Dieu ?...

— Que voulez-vous ? ma petite clame, réplique philosophiquement le patron, on ne fait point tout ce qu’on veut... Espérons ! Une violente ondée coupe la parole à Tonia. On a jeté l’ancre, on a amené la misaine, et, avec la voile ajustée au bas du mât, on a improvisé une tente où les passagers peuvent au moins s’abriter. Enfermés sous cette toile, sur laquelle l’averse gicle à grand bruit, ils restent blottis les uns contre les autres, sans pouvoir même jeter un regard sur la surface écumeuse de la baie. A chaque soulèvement de la vague, la barque monte et re-TOMÏ CLVIII. — 1900. 2