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dit d’abord Cherbuliez, a trop souvent payé tribut aux beautés convenues et le réalisme lui a rendu d’inappréciables services en l’affranchissant de ses routines, en brisant les vieux moules, en faisant la guerre aux coupes et aux rythmes artificiels, aux banalités insipides, aux fioritures déplacées et aux fades vocalises. »

Certes, parmi les effets du réalisme sur la musique, on n’en trouverait ni de moins contestable, ni de plus heureux. Le maître critique en apercevait encore un autre : « Par l’importance toute nouvelle qu’il a donnée aux instrumens et par la prédominance alternée de l’orchestre et de la voix, le réalisme a rendu le drame lyrique plus vrai ; il l’a rapproché de la nature, qui nous montre toujours les choses dans leur milieu. » La passion, que la musique dramatique s’efforce de représenter, n’existe et n’agit pas seule. Elle a l’univers pour théâtre et pour témoin. Elle rencontre à côté d’elle, devant elle, des auxiliaires et des ennemis. Elle trouve des obstacles qui l’arrêtent, s’ils ne l’excitent davantage, et des juges qui la condamnent, à moins qu’elle ne les corrompe. Elle livre des combats, dont elle sort triomphante ou vaincue. Transportant dans l’ordre du drame lyrique ces deux élémens de la vie, Cherbuliez remercie le réalisme d’en avoir déterminé plus nettement, d’en marquer avec plus de force le concours ou le conflit, et cette seconde interprétation du réalisme en musique, moins générale et plus détournée que la première, ne laisse pourtant pas d’être originale et de contenir une part et comme un nouvel éclat de vérité.

Le réalisme est autre chose encore et, sous une dernière forme, il est, pour la musique et pour l’art en général, une des conditions, une des lois de sa nature et de son être. Imitation de la vie, j’entends de la vie intérieure et morale, la musique en doit être une imitation fidèle, et les mélodies et les accords, les rythmes et les timbres, encore plus que les couleurs et les lignes, ont pour modèle unique le sentiment ou l’âme, autrement dit la plus réelle de toutes les réalités. Comme au poète, au peintre, au sculpteur, l’humanité dit au musicien : « Regarde, ou plutôt écoute s’il est une douleur égale à ma douleur, une joie semblable à ma joie ! » et de Palestrina jusqu’à Wagner, il n’y a de musique impérissable que la musique « ressemblante, » celle où l’humanité, joyeuse ou triste, se reconnaît.

Réaliste ! Un musicien de la valeur de M. Charpentier l’est assurément de ces trois manières, légitimes et même nobles toutes trois. Pourquoi faut-il qu’il le soit aussi d’une façon moins haute, et qu’il associe trop volontiers la musique à ce qu’il y a tantôt de plus insi-