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prochains ou trop présens. Je retrouvais dernièrement, dans les Essais de psychologie de M. Paul Bourget, une observation qu’on peut étendre à la musique : « Il est certain que l’époque contemporaine et que nos propres destinées nous fournissent la matière la moins susceptible d’être intellectualisée, si l’on peut dire. Nous ne saurions nous en former qu’une représentation partielle et partiale, incomplète et troublée, qui ne nous permet pas d’en dégager sûrement, nettement, les lignes durables et comme d’essence idéale et nécessaire. » Partielle et partiale, étroite en même temps qu’inférieure, telle est bien la représentation de la vie que M. Charpentier semble préférer encore. Il est heureusement très capable de l’élever et de l’agrandir. « La rue me saoule, » aurait-il déclaré, un peu brutalement. Il connaîtra d’autres ivresses, plus nobles et, pour ainsi parler, moins locales. Musique française, a-t-on dit de sa musique. Souhaitons que ce ne soit pas trop dire, et que cette musique souvent urbaine, faubourienne seulement, devienne nationale, et même universelle un jour. Paris n’est pas la France entière, et Montmartre n’est même pas tout Paris. Que M. Charpentier descende de ces hauteurs, qui ne sont que topographiques. On assure déjà qu’il pense à les abandonner, au moins en esprit. Nous nous réjouirons s’il gravit d’autres cimes, et s’il y demeure ; si, pour un idéalisme plus élevé et plus large, un musicien tel que celui-là renonce à certain réalisme qui risque de rétrécir la musique, en même temps que de l’abaisser.


Le début de Mlle Rioton dans le rôle de Louise est plus qu’une promesse. M. Fugère sait être un père noble en même temps qu’un père ouvrier. Il joue et chante admirablement son personnage. Quant à Mme Deschamps, elle vit le sien. Épouse ou mère, à table ou dans la cuisine, qu’elle écume son pot ou gifle sa fille, on ne saurait être peuple avec plus de naturel et de vérité. M. Messager dirige excellemment un excellent orchestre et la mise en scène est une merveille de réalisme, parfois même de poésie.

Camille Bellaigue.