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Tel fut particulièrement le cas, lorsque l’Italie entreprit contre l’Abyssinie l’agression qui la conduisit au désastre d’Adoua (mars 1896). Les multiples incidens provoqués par le Quirinal au sujet du commerce des armes, incidens qui se prolongèrent et se répétèrent bien au-delà de la cessation des hostilités et jusqu’à la signature de la paix finale, se compliquèrent même d’une autre circonstance. Au mois de mars 1895, l’empereur Ménélik avait proposé à la France de renouveler, en le précisant et l’améliorant, le traité de commerce conclu en 1843 par le roi du Choa avec Louis-Philippe : les précisions à y introduire consistaient surtout, pour la France, à reconnaître l’indépendance de l’empire ; pour l’Abyssinie, à ne consentir aucune cession de territoire ni aucune diminution de sa souveraineté sans avoir pris l’avis préalable du gouvernement de la République ; pour toutes deux, à fixer les limites de leurs possessions respectives et à assurer réciproquement à leurs nationaux un traitement favorable au point de vue commercial. Or, la même réserve que le conflit italien imposait à la France en matière d’importations d’armemens lui interdisait de souscrire un pareil traité pendant la durée de la guerre. Le gouvernement français n’avait donc mis aucune hâte à continuer cette négociation : au printemps de 1896, les offres de Ménélik étaient restées sans réponse définitive, et l’on peut dire que, de ce fait encore, il y avait quelque refroidissement dans nos rapports avec l’Abyssinie.

La fin de la guerre italo-abyssine modifia cette situation à l’avantage de la France. Celle-ci n’avait plus aucun motif de retenir son adhésion au traité proposé par l’Abyssinie ; elle en avait beaucoup, au contraire, de la précipiter. Il était de toute évidence que le succès des armes de Ménélik allait faire bientôt de sa capitale Addis-Abbaba un centre d’intrigues diplomatiques des plus actives, et qu’Anglais, Italiens, Russes et Autrichiens même, comme l’événement l’a promptement prouvé, s’évertueraient à y exercer une influence prépondérante : l’intérêt de la France était de prendre rang avant tous autres et de s’assurer cette prépondérance par son désintéressement même. D’un autre côté, la perspective des mouvemens militaires projetés par les Anglais rendait désirable que, désormais rassuré sur la Mer-Rouge, Ménélik s’établît sur les territoires de la rive droite du Nil, que l’Abyssinie a toujours revendiqués comme siens. Enfin, il n’était pas indifférent que, si M. Marchand parvenait jamais à Fachoda, il trouvât