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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/298

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incomplète s’il n’était dit un mot d’un dernier reproche adressé aux ministres de 1896-1898.

Les plus indulgens, ou les plus insidieux, ont allégué que la conception se justifiait, en effet, et que l’exécution avait été suivie avec une sollicitude suffisante, mais que, devant prévoir l’immense retentissement qu’aurait l’occupation de Fachoda, si elle venait jamais à se réaliser, la plus élémentaire prudence commandait à ces ministres d’y préparer l’opinion européenne, voire d’en faire l’objet de négociations préalables, avant que ne se produisît sur le Nil l’espèce de corps à corps moral entre M. Marchand et le sirdar Kitchener.

Mais, tout d’abord, l’Angleterre ignorait-elle nos visées ou nos prétentions, comme il plaira de les nommer ? Assurément non. On l’a vu par les nombreux incidens d’ordre diplomatique qui ont précédé ou accompagné la marche de la mission Marchand. On en trouve la preuve irréfragable dans la manière même dont la Grande-Bretagne régla ses progrès vers le Soudan égyptien : s’arrêtant à Dongola en septembre 1896, à Berber un an plus tard, elle laissa passer une année encore avant de faire un nouveau bond jusqu’à Khartoum, comme si elle attendait pour avancer que notre propre pénétration dans le Bahr-el-Ghazal se fût étendue. Nous a-t-elle jamais signifié officiellement sa volonté d’aller jusqu’au bout de son entreprise ? Ce fut précisément le contraire, puisque, dans la seule occasion où un personnage semi-officiel s’exprima publiquement dans ce sens, le chef attitré du Foreign Office eut grand soin d’atténuer, au point de l’émasculer entièrement, le langage qui avait été tenu. Mais, allons plus loin, admettons qu’elle l’ait jamais fait ou seulement qu’elle ait entendu le faire : quel compte en fallait-il tenir ? Etait-il écrit quelque part au livre des destins qu’aucun accident ne surviendrait dans sa politique générale, qu’elle n’éprouverait point quelque contrariété, au Transvaal ou ailleurs, qui l’empêcherait de donner suite à ses projets ? Quelle entreprise serait jamais entamée, si la seule éventualité d’une difficulté ou d’une contestation suffisait à la paralyser ? Au surplus, au point de vue du droit littéral, quelle qualité l’Angleterre avait-elle pour nous interdire l’accès de territoires théoriquement placés sous la domination de l’Egypte et partant sous la suzeraineté de la Turquie ? Au point de vue du fait, ou, si l’on préfère, du droit africain, quelle autre règle a-t-on jamais suivie dans le continent noir, comme base de tractations