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à la trahison, n’étaient faits pour rassurer ni Louis XIV, ni Tessé, sur les sentimens de Victor-Amédée. Aussi Tessé ne s’en employait-il qu’avec plus de vigilance à suivre de près les questions qui restaient à régler pour assurer l’exécution non seulement du traité signé à Turin entre Victor-Amédée et Louis XIV, mais encore de celui conclu, le 7 octobre suivant, à Vigevano, avec l’empereur d’Autriche et le roi d’Espagne, traité par lequel ces deux souverains avaient reconnu la neutralité de l’Italie et s’étaient engagés à retirer leur troupes. Mais Mansfeld, le représentant de l’empereur Léopold, était demeuré à Turin, au désespoir de ce traité. Aussi soulevait-il à chaque instant ce que Tessé, dans ses dépêches, appelle des « chipotteries, » et il fallait prendre des mesures pour assurer le départ successif des Impériaux, des Brandebourgs, les Prussiens d’alors, et des Religionnaires, c’est-à-dire des huguenots français qui servaient dans l’armée impériale. Il fallait aussi assurer le payement du subside mensuel que Victor-Amédée avait immédiatement réclamé, et que Louis XIV, avec sa largeur habituelle, avait promis. Le change était élevé ; les banquiers de Turin réclamaient des commissions importantes, et, d’un autre côté, Victor-Amédée voulait toucher l’intégralité du subside : « J’avois prévu honnêtement à cet embarras, écrivait Tessé au Roi, par un bon à-compte, et Votre Majesté doit croire que pour une pièce d’argent, un peu plus ou un peu moins, si elle eust été nécessaire, je n’eusse pas barguigné un instant à l’avancer. »

Le Roi acceptait de prendre les frais du change à son compte, ce qui ne laissait pas d’être assez onéreux. Aussi Tessé, toujours préoccupé de ce qui pouvait être utile au service du Roi, croyait-il devoir transmettre à Pontchartrain certaine proposition qu’un Juif était venu lui faire sous le sceau du secret, « car il auroit mal passé son temps si ce manège s’étoit découvert[1]. » C’était d’acheter, pour le compte du Roi, tous les louis d’or qui étaient disponibles en Piémont, et de les transporter en France où un édit récent venait de leur donner une valeur supérieure, de sorte que le Roi aurait gagné une certaine somme sur chaque louis. Après s’être gratté cent fois la tête pour comprendre l’opération, et après avoir causé huit heures avec celui qu’il appelle « mon Juif, » Tessé transmettait la proposition, tout en convenant qu’il

  1. Papiers Tessé, Tessé au Roi, 28 février 1697.