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avec l’Empire, et le chagrin qu’en éprouvait la duchesse de Savoie, aussi Française de cœur que de naissance. « J’ay appris, écrivait-il à la date du 13 septembre, que Madame la duchesse de Savoye est revenue chagrine de la Vénerie. Comme, pendant tout le séjour qu’elle y a fait, elle a esté continuellement avec M. le duc de Savoye et qu’ils ont paru estre dans une parfaite intelligence, je ne puis attribuer ce chagrin qu’à quelque découverte qu’elle a faite des intentions secrètes de M. de Savoye[1]. »

Prévenu d’autres côtés, en particulier par Villars, son ambassadeur à Vienne, le Roi mandait à Briord de bien surveiller le duc de Savoie, surtout pendant un séjour qu’il allait faire aux eaux de Saint-Maurice en Valais, ce qui le rapprochait des possessions impériales, et pouvait faciliter un secret commerce. « Il est du bien de mon service, écrivait-il à Briord, que vous observiez le plus qu’il vous sera possible les démarches qu’il fera tant à l’égard de l’Empereur que de l’Angleterre et des États Généraux. Il paraît qu’il songe à prendre de nouvelles liaisons avec ces trois puissances[2]. »

Ainsi la méfiance entre les deux alliés était au comble, et les événemens qui allaient se dérouler ne devaient faire que l’augmenter. Victor-Amédée ne pouvait en effet apprendre sans un vif déplaisir, par la rumeur publique, d’abord que, dans les premiers jours d’octobre 1698, un traité avait été signé entre Louis XIV et Guillaume III, par lequel la succession d’Espagne était partagée entre la Bavière, l’Empire et la France, sans qu’il fût admis au partage, ensuite que Charles II, outré de voir sa succession dépecée ainsi de son vivant, l’avait, par testament, laissée tout entière au prince électoral de Bavière. Ainsi, dans l’une et l’autre éventualité, celle d’un partage et celle d’une succession régulière, Victor-Amédée était également évincé et déçu dans ses espérances. Aussi laissait-il apercevoir ouvertement son chagrin. « Petits et grands s’en sont aperçus, » écrivait Briord, et, dans une autre dépêche : « Je sais encore que le duc de Savoye a dit dans son particulier qu’il est apparemment condamné à planter des choux le reste de sa vie, et qu’il en donneroit volontiers quinze années pour pouvoir se trouver à la teste d’une armée et avoir part à quelque [3]

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Briord au Roi, 13 sept. 1698.
  2. Ibid., Le Roi à Briord, 7 août 1698.
  3. Ce traité avait été signé le 11 octobre 1698 à Londres et ratifié ensuite par les États généraux-de Hollande. V. Reynald, t. II, p. 36 et suiv.