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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/328

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les demande. » Mais s’expliquer n’était pas beaucoup dans les habitudes de Victor-Amédée. Aussi se tient-il sur une grande réserve dans ses conversations avec Phelypeaux, et il se borne à lui répondre que son ambassadeur en France a reçu des instructions. C’est en effet entre Vernon et Torcy que se débat de nouveau la question des ménagemens qui seraient de nature à contenter le duc de Savoie. Victor-Amédée sait parfaitement ce qu’il veut. C’est le Milanais. Mais, fidèle à ses habitudes de ne jamais marcher droit, il demande autre chose, c’est-à-dire le Montferrat, qui jouxtait le Piémont, et sur lequel, depuis deux siècles, la maison de Savoie prétendait avoir des droits héréditaires, mais qui faisait partie des États du duc de Mantoue. Torcy fait observer qu’il n’est cependant pas possible de dédommager Victor-Amédée aux dépens d’un prince qui a toujours été un ami de la France. Alors, réplique Victor-Amédée, il ne reste plus que le Milanais, et c’est en effet sur l’échange du Milanais contre la Savoie et le comté de Nice que se poursuit la négociation.

Louis XIV se prête à remanier le traité de partage qu’il a signé quelques mois auparavant. Le duc de Lorraine, auquel ce traité attribuait le Milanais, aura en échange Naples et la Sicile, que lui cédera le Dauphin, et Victor-Amédée, auquel le Milanais est transféré, cédera en échange, à Louis XIV, la Savoie et le comté de Nice. Ce nouveau traité aurait été également avantageux à tout le monde : au duc de Lorraine, qui troquait sa petite principauté enclavée et vassale contre un grand État indépendant ; à Victor-Amédée, qui achetait, au prix de deux provinces assez pauvres, l’État le plus riche de l’Italie du Nord ; et à la France qui, d’un seul coup, se serait enrichie de trois provinces dont elle devait attendre un siècle et demi l’annexion définitive. C’est sur ces bases que la négociation se poursuit à Versailles entre Torcy et Vernon[1], à Turin entre Victor-Amédée et Phelypeaux. Il est à regretter pour la paix du monde et l’avenir des deux pays que Louis XIV et Victor-Amédée ne se soient pas attachés avec plus de persistance à ce sage projet. Mais chacun des deux commet la même faute. Louis XIV, oubliant l’acte de sagesse par lequel il

  1. Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 128. Vernon à Victor-Amédée, 3 sept., 4 oct., 19 oct. 1700. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 106 : Le Roi à Phelypeaux, dépêches de septembre et octobre 1700, passim. Voyez aussi, au Recueil des instructions, t. Ier, p. 232, l’instruction donnée, en octobre 1700, au comte de Tessé, que, plus confiant dans ses talens de négociateur que dans ceux de Phelypeaux, Louis XIV dépêcha pour la seconde fois auprès du duc de Savoie.