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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/33

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LA PETITE DERNIÈRE. 29

Paillette écoutait, non sans une pointe d’émotion, les confidences de ce sexagénaire aux cheveux gris, et elle se disait que la plus simple politesse l’obligeait à contredire aimablement son interlocuteur, en lui affirmant quïl ne paraissait pas son âge. Mais elle n’arrivait pas à formuler sa phrase, et ce fut seulement après une bonne minute qu’elle accoucha de cette banale réflexion :

— Oui, les pierres, l’eau et les arbres ont cet avantage sur nous qu’ils ne semblent pas vieillir...

Le Dantec s’attendait peut-être à un plus charitable compliment. Toujours est-il que son visage, un moment illuminé, se rembrunit de nouveau et qu’un long silence succéda aux mélancoliques effusions du marin et aux naïves confidences de la jeune fille. Tous deux retombèrent dans leurs songeries respectives. Paulette recommença à ruminer doucement les moindres détails de sa conversation avec Rivoalen. Le commandant se remit à remâcher les souvenances de sa lointaine jeunesse. Toutefois, aux images du passé la jolie figure et les propos familiers de « la petite dernière » se mêlaient notablement. Le Dantec sentait au fond de lui une joie sourde tempérer les regrets du temps jadis. Il était heureux de voyager, dans le crépuscule, aux côtés de cette enfant, fraîche, naturelle et pure comme une fleur sauvage. La route courait maintenant entre deux hautes lisières de bois, et le commandant profitait de cet enténèbrement pour contempler à la dérobée la fine silhouette, la grâce souple de ce jeune corps féminin, drapé dans une cape légère qui en laissait transparaître les ligues élégantes. Au sortir du taillis, on aperçut peu à peu les lumières du bourg de Grozon, et le cheval, pressentant le voisinage de son écurie, trotta avec plus d’ardeur sur le chemin devenu plan.

— Nous voici à Crozon ! dit Le Dantec.

— Déjà ! s’écria Paulette, éveillée en sursaut de la plaisante songerie où elle s’était enfoncée.

Ce « déjà » ramena une expression joyeuse sur les lèvres du commandant, et, tandis qu’on descendait avec précaution la rampe ravinée qui conduit à Morgat, il se tourna vers sa compagne de voyage et lui prit la main :

— Nous voici quasiment arrivés... Vous ne m’en voulez pas de vous avoir privée de la société de vos amis ? Trop sincère pour répondre affirmativement, elle chercha un biais et murmura :