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ces effrayantes secousses y produisirent moins de grandeur que de grâce ou d’étrangeté.

La civilisation chinoise distribua le Japon en classes et en catégories. Elle y installa sa bureaucratie, y créa des ministères, y déroula ses longues échelles de titres et d’honneurs. Son esprit foncièrement démocratique ne mordit point sur l’aristocratie féodale des Japonais. Si elle sépara le pouvoir civil du militaire, ce fut ce dernier qui en tira bénéfice. L’influence du plus pacifique de tous les Empires, de celui-là même où les soldats étaient ravalés au dernier rang, détermina et consacra chez ses voisins la suprématie de la caste guerrière, et, tandis qu’en Chine les marchands tenaient le haut bout, le Japon, colonie et province de la pensée chinoise, se plut à les avilir. Enfin le bouddhisme, implanté dans l’archipel, allait bientôt y compromettre son caractère d’idéalisme transcendantal, jusque-là qu’il y arma ses moines et embastilla ses monastères.

Cependant, au centre même de cette société dont la vigueur nationale adaptait et transformait ainsi les doctrines exotiques, la cour des empereurs devait offrir à la politesse chinoise une hospitalité plus passive. Héritiers fatigués d’ancêtres qui avaient à peu près consommé l’œuvre si étonnante d’une première centralisation qu’elle leur assurait un immortel prestige, les mikados, encouragés par la division des pouvoirs, remirent leur épée, — cette épée dont le fourreau était attaché par de simples lianes, — aux généraux nommés contre les barbares, les shoguns, et ne gardèrent, pour eux qu’une autorité spirituelle plus légère à porter. En théorie, ils demeuraient les maîtres absolus de la terre et des hommes, mais l’amour des arts, le luxe et la religion bouddhiste achevèrent de les énerver. On vit ces descendans du Soleil, ces dieux, brûler de l’encens devant les autels de l’athée Çakya-Mouni ; on les vit, vaguement enivrés du mystère hindou, quitter le palais pour le cloître et oublier dans les fleurs du lotus la gloire de leurs aïeux et leur propre divinité.

Ce fut l’époque où le Japon tout frais éclos à la lumière chinoise, encore empreint de sa rusticité première, fixa dans le souvenir des hommes l’image peut-être la plus exquise de son génie. La femme que les anciennes traditions revêtent parfois de l’armure conquérante et qu’aucune loi salique n’écartait de l’empire, trouve au pied du trône une demi-royauté plus conforme à son humour. Elle partage avec le prêtre bouddhiste l’honneur d’avoir