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cette foule homogène, disciplinée en même temps qu’affinée par la crainte, on comprend la parole de saint François-Xavier que les Japonais furent « les délices de son âme. »

L’apôtre ne s’abusa pas sur leurs défauts. Il les signale avec un sens de la réalité que son enthousiasme n’émoussait point. Mais, bien qu’il sentît les difficultés de sa mission, leur amour de la gloire, leur honneur chevaleresque, leur facile renoncement aux voluptés du monde, leur courtoisie, leur esprit « curieux des sciences naturelles et divines, » tout lui sembla concourir au triomphe de la foi chrétienne. Il espéra que le baptême donnerait une santé nouvelle à ces vertus qui, faute d’un sel divin, se corrompaient. Son espérance parut fondée, daïmios, samuraïs, des villes entières se convertirent. Les moissons se levaient au geste même du semeur. En 1550, huit ans après qu’une tempête avait jeté sur les côtes du Japon un navire portugais, le Christianisme, c’est-à-dire la civilisation occidentale, y joua une première partie contre la civilisation chinoise et faillit la gagner. D’où vient donc qu’il y passa comme un vent d’orage et n’y laissa qu’un souvenir de vague et détestable imposture ?

Il n’en faut chercher la raison ni dans la haine des bonzes ni dans le scandale des moines espagnols qui, à coups d’anathèmes, disputèrent aux jésuites portugais la conquête apostolique de ces « îles Argentières, » ni dans le cynisme des matelots européens, qui démentait singulièrement le bienfait de la morale chrétienne. L’arrivée de saint François-Xavier coïncide avec l’entrée en scène du premier des trois grands hommes d’Etat qui allaient si rudement pétrir la matière japonaise qu’elle porte encore leur effigie.


II

Les cinquante dernières années du XVIe siècle furent remplies par les convulsions de la féodalité. Ce fut peut-être l’époque la plus glorieuse de l’histoire du Japon. Toutes les digues rompues, le peuple lui-même déborda. L’individu secoua les chaînes qui le rivaient à la communauté ; l’énergie spontanée l’emporta sur les conventions sociales. Pour la première fois, l’esprit s’oriente au milieu des cadavres. Les massacres ont un sens. Une volonté supérieure précipite les événemens et en règle le tumulte. Il y a unité d’action dans cette trilogie qui dura un demi-siècle.