une Géographie historique du Monde, qui enflammait les cerveaux japonais, lançait un manifeste intitulé : Il faut aimer la science. Le pamphlétaire y raillait le stérile honneur des samuraïs et déclarait que la mort d’un héros qui s’ouvre le ventre ne profite pas plus à la république que celle d’un kurumaya,
Hélas ! ce fut la terrible conséquence de cette révolution japonaise, que la plupart de ceux qui l’avaient faite n’y trouvèrent d’emploi que pour leurs qualités inférieures. Elle opéra dans la conscience publique un renversement de toutes les notions. Les vertus rigides des samuraïs les isolèrent au milieu d’une société où la curiosité intellectuelle commençait à l’emporter sur le puritanisme nobiliaire. Ils ne purent y occuper une place qu’en transigeant avec leur vieil idéal, et le commencement de leur nouvelle élévation ressembla fort à une déchéance. Ils ne valurent plus par la stricte obéissance, le courage stoïque, le mépris de l’argent et de la mort ; mais ceux-là surtout réussirent qui naguère s’entendaient à tramer des intrigues de palais ou à traiter pour leurs princes avec les marchands de riz d’Osaka. L’ombre du daïmiate avait couvé des hommes d’affaires, sa prudence sournoise de petits Machiavels. Les meilleurs, ceux que j’appellerais les quakers du confucianisme, demeurèrent à l’écart. D’autres, beaucoup d’autres, victimes de leur éducation qui leur interdisait le calcul, après avoir mangé la faible somme dont le gouvernement remercia leurs dix siècles de gloire, inaptes à tout travail, les bras cassés par la perte du sabre, glissèrent sur la pente du dénuement jusqu’aux pires compromissions. Plus courageux contre la mort qu’en face de la vie, leur exemple montra que l’honneur, souvent bien difficile à distinguer du point d’honneur, est un soutien fragile pour les âmes qui s’y fondent tout entières. L’avenir n’a pas encore dit si l’intérêt du Japon exigeait absolument que ses hommes d’Etat, samuraïs eux-mêmes, fissent sur leurs frères cette mélancolique démonstration.
Le nouveau Japon s’ouvrit donc par une banqueroute sinon de l’honneur, du moins d’un certain honneur qui, si longtemps, avait été la monnaie courante des âmes. Désormais son histoire intérieure ne me semble plus, en dépit de sa complexité, que la conquête par l’idée du droit d’un peuple héréditairement ployé sous une morale d’obligation incomplète et rude. Quel illogisme ! D’ordinaire, ce sont les peuples qui sourdement, patiemment