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vénération de l’empereur au souci de sa propre humanité. Le Japonais ne respecte vraiment que ce qui s’enveloppe de mystère. Du temps où la loi tombait comme la foudre d’un séjour inexploré, il se limitait prudemment dans le cercle familier de ses devoirs et n’en bougeait point. Il vivait au milieu d’épaisses ténèbres sur une tache de lumière. Aujourd’hui que les lois s’exposent à tous les regards, il découvre avec admiration que chacune d’elles n’occupe qu’un point fixe de l’étendue. On peut circuler, les éviter, les saluer, les apprivoiser, les tourner. Les lois l’affranchissent de la loi.

En est-il plus heureux ? Je ne le pense pas. Cette loi non écrite s’est transformée. Il ne s’agit plus d’obéir à un code dont les règles étaient au fond des consciences, les sanctions aux mains des juges. Aujourd’hui, il faut vivre et travailler pour vivre, non pas travailler à ses heures, comme autrefois, toujours à peu près sûr du lendemain, mais travailler sans relâche et sans grande sécurité. La cherté de la vie a augmenté en des proportions fantastiques. Ce que ne produisaient point les famines d’autrefois, où l’homme, ramassé dans son canton, voyait autour de lui chez tous les hommes les mêmes affres de la mort, — je veux dire le sentiment de ces inégalités sociales dont l’injustice, au moins apparente, agit si fortement sur les cœurs, — l’industrie européenne et la révolution économique l’ont éveillé et déjà l’exaspèrent par l’écart prodigieux qui s’est fait, en un pays où les riches s’appliquaient à ressembler aux pauvres, entre les fortunes des spéculateurs et la misère des salariés. Les vieilles communautés féodales tirent d’elles-mêmes aux syndicats, et le socialisme commence à sourdre.

La guerre contre la Chine en hâta l’éclosion. Je ne vois point dans l’histoire du Japon d’événement plus considérable. Assez insignifiante en soi et, si l’on veut, promenade militaire dont les étapes avait été préparées depuis vingt ans, ses conséquences dépassèrent encore une fois les prévisions des chefs politiques. Ils y virent le salut d’une Constitution que les premiers assauts des parlementaires avaient déjà compromise. Mais, ce qui importe davantage, elle donna à la patrie japonaise le sacre de l’angoisse et de la fierté. On n’a pas assez dit, quand on a qualifié d’admirable le patriotisme qui du nord au sud souleva toutes les âmes. Ce fut un réveil et un éveil.

Réveil des anciennes traditions guerrières. Le Japonais y