Comédie-Française continuera de donner ses représentations. Elle en donne quelques-unes à l’Opéra ; elle donnera probablement les autres à l’Odéon. Après quoi, elle se réinstallera chez elle. On espère qu’il suffira de quelques mois pour rebâtir une nouvelle scène sur l’emplacement de l’ancienne. L’emplacement sera le même, les plans seront les mêmes. Mais ce ne sera plus le même théâtre.
Ce théâtre, où durant près de cent années se sont encadrées les plus belles manifestations de notre littérature dramatique, où s’est livrée la bataille de Hernani, où se sont succédé, de Talma jusqu’à M. Mounet-Sully et de Rachel jusqu’à Mme Sarah Bernhardt, des artistes d’élite, où les meilleurs des auteurs contemporains sont venus recevoir la consécration qu’ils devaient au voisinage des maîtres classiques, ce théâtre n’est plus qu’un monceau de décombres. C’est tout un ensemble de souvenirs qui disparaît. C’est plus encore. Car ces souvenirs avaient une action, exerçaient une influence, composaient une atmosphère. On sait assez que nous ne sommes pas indépendans du milieu qui nous entoure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’on serait tenté de méconnaître ces liens qui nous rattachent aux choses extérieures. Obscure et mystérieuse, l’âme des choses pèse sur notre âme. Dans une de ses Préfaces, A. Dumas a justement noté la disposition d’esprit que prenaient, sans presque s’en apercevoir, spectateurs, auteurs, comédiens, au moment où ils entraient dans cette salle. « Le soir, quand il donne son large billet au contrôleur bien abrité du froid, dans ce vestibule circulaire à colonnes et à statues, le public est à la fois un peu fier et un peu intimidé. Ce large escalier à tapis, ces huissiers à chaînes, ce silence des couloirs, ces ouvreuses graves, ce foyer garni de bustes en marbre…, tout cela vous a un air pontifical qui inspire à la fois au public le respect, la confiance, la sévérité et la courtoisie. Ce n’est pas là une église, évidemment, mais c’est un temple ; s’il n’y a pas de saints, il y a des dieux, et voilà bientôt deux cents ans que le grand ; le beau et le vrai y ont leur autel, leur culte et leurs prêtres. Bref, c’est le premier théâtre du monde, chargé de recueillir, de répandre et de consacrer ce qui doit rester de notre littérature dramatique, laquelle est, disons-le, une des gloires, sans rivale dans les autres pays, de notre génie français. » Cette vieille salle avait des proportions harmonieuses et une bonne acoustique ; mais plus encore elle avait ses habitudes et son éducation faite. Contre certaines erreurs, excentricités et défaillances du goût, sa protestation muette était toute-puissante. Certes, il s’en fallait que tous les ouvrages qu’on lui apportait fussent dignes d’elle ; mais justement elle (en faisait ressortir l’insuffisance avec une