guerre étrangère et de la guerre civile, l’une nourrie par l’autre. Parmi les hommes que la Révolution avait dépouillés de leurs privilèges et de leurs biens, meurtris, torturés, désespérés, beaucoup ne renonçaient pas à rentrer violemment en possession de la France. Ligués avec l’étranger, ils renouvelaient des invasions et des descentes, fomentaient des complots, troublaient Paris, agitaient les campagnes, maintenaient l’Ouest en feu, inondaient le Midi de bandes assassines ; il y avait simultanément terreur rouge et terreur blanche. Disputée à main armée entre deux peuples issus d’une même race, entre partisans et adversaires militans de la Révolution, la France, malgré le luxe dévergondé qui avait surgi dans sa capitale, demeurait un champ de bataille couvert de ruines, un sol de désolation, un sanglant chaos.
Sous le combat des factions, la masse de la nation gisait inerte, morte aux grands enthousiasmes, morte à toute foi poli- tique, dégoûtée profondément des révolutionnaires et hostile à l’ancien régime. On était loin de ces temps de patriotisme exaspéré et furieux, où l’amour de la République s’était confondu vraiment avec l’amour de la France. A présent, le vœu le plus, ardent de la nation était la paix avec l’étranger, car la guerre lui imposait d’écrasans sacrifices. A l’intérieur, elle eût voulu surtout la liberté religieuse, la faculté de retourner à sa foi et à ses observances traditionnelles, le droit pour chacun de prier à son jour et à son gré, la sécurité des personnes, l’abolition des lois persécutrices, la cessation des troubles ; elle ne voulait point le rétablissement des privilèges, entendait maintenir le partage des biens nationaux et l’affranchissement de la terre. Les volontés qu’elle exprimait avec un accent de misère, elle ne se sentait plus la force de les faire prévaloir ; « l’apathie tempère le mécontentement, » écrivait un chaud républicain, et l’affaissement des esprits égalait la désagrégation matérielle.
Comme une nation ne saurait vivre indéfiniment à l’état inorganique, il était évident que la France se dissoudrait totalement, à moins que l’on ne vît s’ériger un pouvoir assez fort et assez intelligent pour imposer la paix publique, pour opérer d’autorité les conciliations nécessaires, pour ressusciter en même temps les énergies éteintes : un gouvernement qui referait de l’ordre et qui referait aussi de la vie. Cependant l’universel besoin qu’on avait de ce régime ne suffit pas à le créer, à le faire jaillir du sol par éclosion subite. L’homme qui le portait en son cerveau existait,