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idées conservatrices, revenaient sans cesse dans sa bouche. Il contribua pour beaucoup à les introniser dans notre langage politique, mais il ne les appliqua jamais qu’à une classe d’intérêts et de personnes.

Nul ne fut plus que lui homme de parti ou plutôt de caste, homme de tiers état, dans toute la force restrictive du terme. Il avait l’horreur des nobles et le mépris du peuple. C’était lui qui naguère refusait de dire la messe « pour la canaille. » D’autre part, après Fructidor, il avait inventé contre les nobles un plan d’ostracisme colossal, proposé d’exiler en masse tous les restes de cette classe et d’amputer définitivement la France d’un membre. Faux républicain d’ailleurs, laissant dans sa fameuse constitution une porte ouverte à un roi qui serait le prête-nom de l’« oligarchie révolutionnaire » et son répondant vis-à-vis de l’étranger, il ne rêvait pas une France rayonnant sur le monde, bouleversant l’Europe par le glaive ou par l’idée, mais une France où il aurait ses aises, qui lui serait commode et confortable, car ce qu’il chérissait par-dessus tout, « avec sybaritisme, » c’était son repos, un repos moelleux et bien garanti. Il aimait âprement l’argent et ne recherchait pas les jouissances du grand luxe ; ses plaisirs étaient furtifs, ses voluptés sournoises. S’il voulait aller en voiture et non à pied, c’était surtout, disait-il, pour que les ci-devant ne pussent plus « l’éclabousser ; » la pensée seule de partager les bénéfices du pouvoir avec une aristocratie autre que la sienne, l’aristocratie des régicides, le mettait dans une rage froide. S’il se rapprochait aujourd’hui de certains modérés, s’il voulait les associer à l’œuvre de réformation brusque qu’il méditait posément, il entendait limiter strictement leur part dans le régime à venir. L’idée d’un gouvernement largement national, ouvert à tous, supérieur aux partis, n’entra jamais dans l’esprit de ce faux sauveur.


III

Tandis que Siéyès quittait Berlin pour prendre rang au Directoire, le corps législatif se renouvelait encore une fois par tiers. C’est au Directoire qu’il incombe d’avoir inauguré en France la candidature officielle ; il en usa cyniquement dans la circonstance, mais il était tellement discrédité, honni, que le fait seul d’être patronné par lui devint un titre d’exclusion. Depuis le 18 Fructidor,