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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/504

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d’une fiscalité arbitraire. Ces besognes accomplies, les Conseils se refroidirent un peu ; mais la France frissonna : elle avait vu le spectre de la Convention.


IV

Le nouveau Directoire, définitivement composé de Barras, Siéyès, Gohier, Roger-Ducos et Moulins, crut devoir modifier le ministère et l’administration dans un sens avancé. L’intègre Robert Lindet, ex-membre du comité de Salut Public, fut mis aux Finances, Quinette à l’Intérieur, Bourguignon à la Police. Il parut impossible de maintenir Talleyrand aux Relations extérieures, à cet instant où l’on inscrivait le puritanisme à l’ordre du jour. Talleyrand dut s’éclipser, mais sut au moins se faire remplacer par un homme de confiance, Reinhardt, qui lui garderait la place ; il resta ainsi dans la coulisse, préparant sa rentrée. Par une mesure très grave, le portefeuille de la Guerre fut confié à Bernadotte, qui s’était jeté éperdument dans le courant jacobin. Le général Marbot[1] dut à ses opinions « exagérées » le commandement de Paris. Beaucoup d’administrations locales furent épurées et peuplées d’hommes violens.

Siéyès n’avait pu s’opposer aux choix nouveaux ; il sut en faire tourner plusieurs à son profit. On avait placé à la Justice Cambacérès, parce que l’ancien Directoire l’avait tenu en disgrâce ; Siéyès reconnut tout de suite en lui un esprit rassis, mûri, prédestiné aux besognes réorganisatrices, et, lui dévoilant en partie ses desseins, s’en fit un utile auxiliaire. Dans le Directoire, il s’empara de Roger-Ducos, qui ne pensait jamais que par autrui. Il essaya même d’attirer à soi quelques députés influens du parti jacobin, les moins compromis par leur passé, ceux avec lesquels on pouvait causer. Jourdan et d’autres furent invités par lui à de mystérieux colloques : tout le monde reconnaissant que la constitution ne suffisait plus aux besoins de la France, pourquoi ne pas s’entendre pour la changer ? Le malheur était que, chacun voulant une révision, chacun la voulait à sa façon. Comme Siéyès évitait de s’expliquer sur ce que l’on mettrait finalement à la place du régime actuel, Jourdan et ses collègues le trouvèrent

  1. Père du célèbre chroniqueur.