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apparences de vertu, puisque la piété s’y affiche et que s’y étale « l’humilité ! » Mais comme, au bout d’une page qui commence par les aboiemens de la meute lâchée, cette piété, cette humilité, sonnent creux ! et comme on sent bien que Bismarck pense moins alors à Dieu qu’à sa proie, que sa grande affaire est, non pas de prier, mais de suivre et d’exciter les chiens ! Faut-il le dire ? on l’entend trop, on le sait trop ; et c’est ce qui reste dans son machiavélisme d’un peu rustre ou d’un peu barbare, en quoi il demeure Prussien et Poméranien jusque dans le personnage du Prince. Car, si, au fond, il est le Prince, s’il en a tous les caractères, cependant l’enveloppe est plus lourde et l’allure plus gauche. Il n’est pas dans l’air léger de l’Italie ; le ciel sous lequel il est né est plus chargé de nuées, de fumées et de buées, qui se déposent en une couche plus épaisse : il n’a pas la délicate patine de Florence : cette élégance, cette grâce, cette recherche d’art. Il s’écrierait : — Com’è buono ! plutôt que : — Com’è bello ! et de toutes choses le premier aspect qui le frappe, ce n’est sans doute point la beauté. Ainsi, le Florentin voulait mettre de la beauté même dans l’utile ; il se contente, lui, de tirer de l’utile l’utilité, un gain, un profit d’État. Et ainsi, le machiavélisme de Bismarck traîne comme un accent saxon, mais c’est tout de même un machiavélisme.

Il en a la dureté froide. Il l’a volontairement, politiquement, avec des considérans et d’après des raisonnemens, en vertu de tels motifs et en vue de tel objectif. Il l’a, il veut l’avoir, et il sait qu’il l’a. Un jour, à table, l’histoire lui revient de ce landgrave de Thuringe, qui, égaré à la chasse et réfugié dans la cabane d’un forgeron, crut entendre pendant son sommeil le maître de la maison frapper à coups redoublés sur son enclume, en disant : Sois dur, Landgrave ! Et tout de suite il part de là, car c’est un esprit qui ne laisse rien perdre, qui ramène tout à lui-même et à la situation présente, et qui transforme tout en matière de sa propre activité : » Je trouverais bien moyen de les forcer, les Parisiens. Je leur dirais : « Vous êtes deux millions d’hommes qui me répondez sur vos personnes. Je vous tiens encore affamés pendant vingt-quatre heures, jusqu’à ce que nous obtenions de vous ce que nous voulons. Et puis, encore une fois vingt-quatre heures, quoi qu’il puisse en arriver. Moi, je prendrais bien cela sur moi, mais… je formerais bien ma conscience là-dessus, mais… ce qui est derrière, derrière mon dos, ou plutôt ce qui est sur ma poitrine et y pèse au point de me couper la respiration… Oui, si on était