gagner leur vie. Et ces fillettes, dont on voulait relever la condition, émigrent vers les villes : autrefois, elles eussent été dentellières ; aujourd’hui, elles seront servantes. Reviendront-elles jamais au pays quitté ?
Dans la région où nous avons mené cette enquête, cet exode des fillettes est la cause principale de l’effroyable dépopulation des campagnes, qui est, pour qui sait réfléchir, une cause réelle d’épouvante. Dans les petites paroisses, on ne fait plus maintenant de mariages, et, pour ne citer qu’un exemple entre cent, depuis la crise de la dentelle, un village comme Amblie a vu sa population tomber de 700 à 300 habitans. Par suite du départ des enfans, la vie de famille se trouve brisée ; qu’advient-il alors des femmes qui restent ? Les vieilles, pour qui la dentelle est une habitude, continueront sans doute à en faire ; mais les femmes de trente à quarante ans, d’habileté moyenne, estiment que travailler toute une journée pour récolter dix sous et encore là-dessus payer son fil, est une duperie et qu’il vaut mieux ne rien faire. La plupart resteront oisives, tristes, inoccupées, et, à la campagne, un tel état d’esprit n’est que trop souvent la première étape sur la route de l’alcoolisme.
Le Conseil général du Calvados a peut-être soupçonné la gravité de cet état de choses quand il décida, pour ranimer l’apprentissage, d’allouer aux maîtresses d’école qui enseigneraient la dentelle une indemnité de dix francs par élève. Pour louable qu’elle fût, cette initiative ne pouvait être et n’a été d’aucun effet : pour apprendre la dentelle aux autres, il faudrait d’abord la savoir soi-même, et les institutrices n’ont jamais été préparées à un tel enseignement.
Le remède est ailleurs, et la seule chose, qu’ici nous voulions demander à l’État, c’est d’en permettre l’application.
Il réside, en effet, dans une atténuation, à l’usage des contrées dentellières, des dispositions de la loi scolaire, et cette modification était, dès 1883, proclamée nécessaire par un homme aussi peu réactionnaire que le fut M. Tolain. Il faut permettre, dans notre système actuel d’éducation, de juxtaposer pour le moins l’enseignement professionnel à l’enseignement primaire, et s’inspirer de ce mot si sensé d’Herbert Spencer, qui devrait être gravé au frontispice de tous nos établissemens scolaires : « La meilleure instruction est celle qui prépare le mieux l’enfant à