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pourvu. Et voilà pourquoi nous souhaitons que le demi-succès, encore très honorable, de l’Aiglon lui soit un avertissement dont il sache profiter afin de justifier quelque jour les grandes espérances que nous continuons de mettre en lui.

L’Aiglon est monté avec beaucoup de soin, d’élégance et de goût. Mme Sarah Bernhardt a obtenu, dans le rôle du duc de Reichstadt, un succès très grand entrés mérité. Elle porte avec une belle vaillance le poids de ce rôle écrasant. Il est fâcheux qu’elle soit obligée trop souvent de forcer sa voix et de crier. Mais, dans les passages de rêverie, de mélancolie, d’impertinence, elle est exquise. C’est une évocation ravissante de jeunesse et de poésie. Le personnage de Flambeau dit Flambard est tenu au rebours du bon sens par M. Guitry. Le rôle n’est pas fameux ; mais l’interprète contribue puissamment à le rendre insupportable. On oublie tout à fait qu’il s’agit d’un vieux grognard de l’Empire : on n’a sous les yeux qu’un bon blagueur boulevardier d’aujourd’hui. M. Calmette a bien interprété le rôle, tout conventionnel d’ailleurs, et sans nuances, de Metternich. M. Pierre Magnier a de la verve dans la scène du tailleur Jeune-France. Mlle Legault est charmante dans le rôle de Marie-Louise. Les autres rôles, nombreux et à peu près insignifians, sont très convenablement tenus.


Et voici enfin une œuvre fortement conçue, sévèrement exécutée, qui achève de classer son auteur et qui renoue la chaîne de la comédie de mœurs telle que l’avaient comprise Augier et Dumas. Car tenir assemblés les gens pendant toute une soirée, les faire rire ou pleurer, secouer leurs nerfs, amuser leurs yeux, puis, le feu d’artifice étant tiré, les lumières étant éteintes, et la fête étant finie, les renvoyer sans qu’ils emportent matière à réfléchir, c’est une duperie. Il ne s’agit pas de demander à l’écrivain de théâtre qu’il soit un penseur à la manière des philosophes de profession. Il n’a pas à résoudre les questions qu’il soulève. On n’attend pas de lui qu’il nous apporte un système tout fait et savamment coordonné : la pièce à thèse, si intéressante ou curieuse qu’elle puisse être, a presque toujours cet inconvénient de substituer à l’expression souple et concrète de la vie la raideur de combinaisons algébriques. Mais on veut qu’il se soit intéressé au spectacle de la vie, qu’il ait aperçu quelqu’un des problèmes sans nombre dont est faite l’atmosphère d’une époque, en dehors même de ceux de l’adultère, qu’il en ait ressenti et qu’il en éveille en nous l’inquiétude.

C’est le mérite de M. Brieux d’avoir de tout temps compris de cette manière son devoir d’auteur dramatique. Dans les pièces qu’il