légitimement le pays où on les a trouvées. » Les journaux calédoniens nous ont tout récemment raconté une scène où un administrateur aurait publiquement insulté et frappé un chef important qui était arrivé en retard de quelques minutes à un rendez-vous pour une opération de cantonnement. Sans doute, l’administration peut alléguer qu’elle ne procède jamais à l’allotissement sans avoir obtenu le consentement des chefs ; mais, avec ces hommes primitifs, l’administration, qui dispose des gendarmes et qui parfois en abuse, a des moyens de persuasion auxquels les Canaques ne résistent guère ; et d’ailleurs, quand un chef paraît faire quelques difficultés, on a d’autres procédés, on s’avise tout à coup qu’il n’est pas le chef légitime, on le dépose et l’on trouve facilement, moyennant quelques promesses ou quelque argent, un Canaque plus docile ; on l’affuble d’une veste galonnée, il devient, comme disent les indigènes, « chef pour administration » et l’on procède avec lui au partage des terres. De ce que les Canaques ne se sont pas révoltés et n’ont pas murmuré tout haut, il serait téméraire de conclure qu’ils ne se plaignent pas d’une opération, nécessaire sans doute et légitime en principe, mais qui resserre leur domaine et trouble leurs habitudes. Le Canaque est dissimulé et la crainte le fait souvent mentir ou se taire ; avec lui, toute enquête officielle est illusoire[1] ; il renferme en lui-même ses sentimens jusqu’au jour où, brusquement et sans qu’on puisse le prévoir, il se rue, comme en 1878, sur les blancs et assouvit, dans un accès de rage folle, toute la haine qui, silencieusement, s’est accumulée dans son âme sauvage.
Une cause nouvelle d’agitation et de trouble a été le vote, en 1898, par le Conseil général, sur la proposition du gouverneur, d’un impôt de capitation sur les seuls indigènes. Ceux-ci, à la vérité, ne payaient pas d’impôt direct, mais il est juste de remarquer que les objets qu’ils achètent le plus volontiers sont précisément ceux qui sont soumis aux droits les plus élevés, comme le tabac et l’alcool qui paye 200 pour 100. En faisant peser sur les indigènes seuls cette nouvelle charge, on n’apportait qu’un faible appoint à l’équilibre du budget et l’on froissait ce sentiment de justice qui est inné même dans les âmes les plus frustes. Le Conseil d’État avait déjà refusé d’admettre ce mode d’assiette de l’impôt ;
- ↑ Voyez, par exemple, le rapport de la commission d’enquête nommée à l’occasion des troubles de Wagap, Ina et Tyéti, dans le Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 6 janvier 1900.