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compacts qui s’abritent sous l’autorité de noms justement respectés. C’est ainsi que dans un volume de 981 pages intitulé Louis XIV et qui fait partie d’une Histoire générale, fort en honneur, croyons-nous, dans les lycées et les collèges, on peut lire cette phrase[1] : « Pour désarmer l’Europe, au moment de l’ouverture imminente de la Succession, Louis XIV abandonne la Lorraine. » Or il n’y a presque pas une dépêche citée dans les ouvrages dont nous avons parlé où l’on ne voie apparaître la préoccupation constante de Louis XIV d’annexer la Lorraine à la France par la voie diplomatique, sans effusion de sang. Les lecteurs de notre dernier article peuvent en particulier se rappeler que, dans les projets de remaniement de l’Italie, s’il demandait pour son fils tantôt le Milanais et tantôt les Deux-Siciles ce n’était pas pour l’orgueilleux plaisir de faire monter sur le trône un membre de sa famille (comme devait faire plus tard Napoléon), mais pour qu’il en descendît au contraire, en échangeant ces possessions lointaines contre cette Lorraine voisine qu’un historien moderne, volontairement mal instruit, lui reproche d’avoir abandonnée. Mais il fallait pouvoir terminer le chapitre par cette phrase : « Il compte par-là rendre plus facile l’avènement de sa postérité au trône d’Espagne. Dans son monstrueux et naïf orgueil, il confond la grandeur de la France avec la gloire de sa famille… Ce fut un grand malheur pour la France que Louis XIV ait pris pour modèle Charles-Quint, plutôt que Richelieu. »

Le danger d’écrire ainsi l’histoire du passé sous l’empire des préoccupations du présent, c’est de pousser ceux auxquels (ils ne s’en défendent point) ces préoccupations ne sont pas étrangères à rechercher aussi dans l’histoire des argumens en faveur des causes qui leur sont chères. Quelques-uns de ceux-là ne peuvent s’empêcher de se demander si du système politique qui confondait « la grandeur de la France avec la gloire d’une famille, » la France a eu après tout tant à se plaindre. Le paradoxe leur paraîtrait assez difficile à soutenir alors que ce système a poussé le patrimoine de la famille en question depuis le petit noyau de l’Ile-de-France jusqu’à la barrière naturelle des Pyrénées, d’un côté, et, de l’autre, jusqu’à celle du Rhin, qu’une série d’erreurs et de malheurs nous ont fait perdre.

Certains événemens dont ces derniers mois ont été témoins

  1. Histoire générale depuis le IVe siècle jusqu’à nos jours, t. VI. Louis XIV, p. 141.