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peut-estre du duc de Lorraine, le Roy voudroit bien dans ce cas faire l’eschange dont il fut parlé au mois d’octobre dernier de cet estat de Milan, contre la Savoie, le comté de Nice et la vallée de Barcelonette. » En faisant cette proposition, Gubernatis ajoutait : « cecy n’est qu’un almanach qui, vraisemblablement, n’aura jamais d’effet. » A quoi Phelypeaux répondait en riant : « qu’il ne se connaissait point en almanach, » et il refusait l’insertion de cet article[1]. Le Roi approuvait son refus et traitait le projet d’imaginaire. A la vérité, il lui était difficile, alors que la désignation de Charles II et l’acceptation du duc d’Anjou avaient eu pour objet principal le maintien intégral de la monarchie espagnole, de consentir d’avance, fût-ce par almanach, au démembrement de cette monarchie et d’admettre, dans un article, même secret, que son petit-fils pût être dépouillé d’un des plus riches fleurons de cette nouvelle couronne. Mais c’était une faute d’exiger l’insertion dans ce traité, qui finit par être signé le 6 avril 1701, d’une clause par laquelle il était formellement stipulé « que, la paix étant faite et affermie en Italie, chacun demeurera dans son premier et ordinaire état[2]. » C’était, en effet, enlever à Victor-Amédée l’espérance d’aucun agrandissement territorial quel qu’il fût, même du côté du Montferrat, et réduire l’intérêt qu’il pouvait avoir à se ranger du côté de la France à une question purement pécuniaire, et, à ce point de vue, très discutable. C’était là un véritable abus de la force et une de ces fautes (soigneusement relevée chez les auteurs italiens)[3], par lesquelles la diplomatie de Louis XIV perdait trop souvent les fruits d’une longue patience ; faute d’autant moins compréhensible dans la circonstance que Louis XIV ne pouvait entretenir aucune illusion sur les sentimens véritables de l’allié qu’il prétendait ainsi enchaîner et que Phelypeaux ne cessait de l’avertir que Victor-Amédée avait toujours sur le cœur « l’offre du Milanais et ce que lui a dit le Roy et que son inclination à la vengeance le porteroit entièrement du côté de l’Empereur[4]. »

En effet, à peine le traité signé, et tandis que la duchesse de Bourgogne, inquiète jusqu’au bout de l’attitude que prendrait son père, « tressaillait de joie à sa toilette[5] » en apprenant cette

  1. Ibid., Phelypeaux au Roi, 3 mars 1701 ; le Roi à Phelypeaux, 14 mars 1701.
  2. Aff. étrang., Corresp. Turin, Supplément vol. 109. Ce traité se trouve aussi dans le recueil intitulé : Traités publics de la maison de Savoie, t. II.
  3. V. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia, t. III, p. 300.
  4. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 107. Phelypeaux au Roi, 15 janvier 1701.
  5. Sourches, t. VII, p. 44.