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en sûreté : les agens du roi Auguste, qui avaient tenté à plusieurs reprises de l’enlever ou de le tuer, recommençaient leurs complots avec des facilités nouvelles. Il fallait trouver à tout prix un asile : la frontière française était voisine, et la place de Landau le recevait en fugitif avec les siens. Bientôt après, sa demande de séjour était accueillie par le Régent, au nom du petit roi Louis XV, et on lui laissait choisir la ville de l’intendance d’Alsace où il lui plairait de résider sous la sauvegarde bienveillante du roi de France. C’est ainsi qu’au début de 1719, il s’était installé à Wissembourg. Il y gardait ce reste de petite cour que conservent aux rois déchus le dévouement exalté par l’infortune et aussi l’indéracinable vanité des titres sonores.

Rien ne faisait prévoir que la vie déjà si agitée de Leczinski dût avoir des reviremens encore plus étranges que ceux qu’elle avait subis. De simple gentilhomme vivant sur ses terres, il était devenu roi et chef d’armée ; à présent exilé et réduit à mendier sa vie, l’avenir lui ménageait des retours extraordinaires, une royauté encore, puis, de nouveau, les émotions d’un proscrit, enfin, pour couronner ces aventures, une espèce de trône honoraire et les studieux loisirs d’un philosophe. Les circonstances et les hasards seuls avaient fait et devaient continuer cette étonnante carrière ; elle ne sortait point, comme il l’a cru longtemps, des mérites d’un homme capable de s’élever aux destinées les plus hautes et digne d’attirer sur sa tête, les coups violens de la fortune.

La légende faite autour du nom du roi Stanislas a été entretenue par les flatteurs de la reine de France et soigneusement préparée par lui-même pendant la dernière partie de sa vie. Il ne fut, dans la réalité, ni le héros désintéressé, ni le politique tout philanthrope que ses biographes nous ont dépeint. L’étude nouvelle des documens le montre atteint d’ambitions inguérissables [1]

  1. Sources : les Mémoires : Villars, Marais, Barbier, Duclos, Saint-Simon, etc. ; la Correspondance de Voltaire, le Mercure de France et la Gazette ; le volume peu connu du chevalier Daudet, Journal historique du voyage de S. A. S. Mlle de Clermont depuis Paris jusqu’à Strasbourg, et du voyage de la Reine depuis Strasbourg jusqu’à Fontainebleau, Châlons. 1725 ; le livre de M. Paul de Raynal, Le mariage d’un Roi, Paris, 1887, qui a fort bien tiré parti des Archives des Affaires étrangères : celui de M. Albert Vandal sur Louis XV et Elisabeth de Russie. Paris, 1882 : celui de M. Pierre Boyé, Stanislas Leszczynski et le Traité de Vienne, Nancy, 1898, qui renouvelle la documentation sur Stanislas. M. Gauthier-Villars prépare un autre récit. A la bibliothèque de l’Arsenal, sont les papiers du maréchal du Bourg, où les détails inédits ne manquent point : aux Archives nationales, le carton des rois relatif au mariage et le registre des premiers gentilshommes de la Chambre.