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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/907

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d’abord mince et molle, un peu terne, s’épaissit, se consolide, s’illumine !

Si nous sautons ensuite par dessus vingt-trois années, vingt-trois années de douleurs, de déboires, de labeurs acharnés, quand nous nous retrouvons devant le Rembrandt de 1660, alourdi, épaissi, blanchi, inculte, tout ridé, tout couperosé (à cinquante-quatre ans, un an avant les Syndics des Drapiers), un gros linge enroulé au hasard autour de la tête, enveloppé d’une vieille houppelande fourrée, dans le demi-jour de la chambre sordide qui remplace le grand atelier d’autrefois, l’atelier si vaste, si clair, si encombré de tableaux, de plâtres, d’armes, d’étoffes, de bijoux, de bibelots précieux, quelle émotion nous secoue et nous pénètre ! Pourtant, le vieil artiste, flagellé par la vie, reste droit, robuste, vivant ; il tient, d’une main plus ferme que jamais, sa palette et ses pinceaux, et la simplicité, et l’énergie, et la franchise avec laquelle il dégage lentement, dans leur solidité résistante, de la tristesse et du trouble des pénombres environnantes, son masque puissamment résigné et ses mains obstinément laborieuses, nous semblent bien supérieures à ces caresses douces de lumières paisibles dans lesquelles le jeune homme, brillant et heureux, vaniteux et mondain, aimait à parader.

L’ascension constante de Rembrandt vers la force et la lumière est plus visible encore dans ses compositions figurées qui s’échelonnent depuis 1633 jusqu’à 1661. Les deux Philosophe en méditation, de 1633, sous des voûtes obscures, lisant près d’une fenêtre ouverte, rentrent dans la série de ces premières études de clair-obscur où le jeune graveur recherchait, sur la toile, avec toutes les finesses et les subtilités du burin, l’exactitude expressive des attitudes et des physionomies sous l’action bien déterminée d’un éclairage atténué et délicatement nuancé. L’aspect reste grisâtre, presque monochrome, la matière mince, encore un peu sèche. Quatre ans après, dans l’Ange quittant Tobie, l’élève de Lastman, sans oublier son maître, est entré en pleine possession de lui-même, et, pour la volonté et la clarté de la mise en scène, la mimique naturelle et puissante des actions, la concordance harmonique de l’expression et de la coloration, la liberté et la variété de la facture, il dépasse déjà, de haut, non seulement ses prédécesseurs, mais tous ses contemporains. Le sujet, très pittoresque, à cause de l’ange envolé, avait été souvent