Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tranquille d’affection et de travail. Le père travaille sur l’établi, attentif à son coup de rabot, près de la lucarne ouverte sur la campagne, la jeune mère allaite son nourrisson, la grand’ mère interrompt sa lecture de la Bible, pour regarder l’enfantelet, sous une tombée de soleil oblique. Avec quel charme d’apaisement cette lumière, abondante et souple, accentue, en saillies douces, les clartés des linges et des chairs, les mouvemens significatifs des corps et des visages, tout en révélant et détaillant par degrés, discrètement, dans les pénombres des angles et du fond, les accessoires familiers qui racontent les habitudes de ce calme intérieur : le berceau bas, garni de bonnes couvertures et de bons coussins, la marmite, suspendue à la crémaillère sous le grand manteau de la cheminée, mitonnant sur un feu doux, le chat assoupi dans cette tiédeur, les provisions d’oignons accrochés à des clous, et, plus loin, dans l’ombre, tout dans l’ombre, derrière les escabeaux et les tables, un grand lit. Pour exprimer cette paix, le peintre, cette fois, trouve, sous son pinceau, dans ses colorations plus ardentes, des grâces admirables de tendresse, et vraiment irrésistibles.

De la même époque, et, comme pour prouver la sensibilité infinie du peintre, dans ses contemplations et ses admirations de la vie, voici la Baigneuse de la Collection Lacaze. Certes, elle n’a rien d’une déesse, avec ses bourrelets de chair, son allure gauche, ses gros pieds, cette lourde fille, qu’il va transformer en Suzanne (au musée de Berlin), mais comme ses mouvemens sont justes, comme son corps se modèle vivement et puissamment, quelle enveloppe de poésie jettent, sur ses réalités grossières, le mystère croissant des pénombres qui la gagnent et l’adieu du crépuscule dont la rougeur s’éteint, là-bas, dans les feuillages ! Depuis longtemps, d’ailleurs, quoi qu’il fasse, le peintre ne fait plus que des chefs-d’œuvre. Le Ménage du menuisier semblerait-il pouvoir être dépassé ? Voici pourtant que huit ans après, en 1648, le Bon Samaritain et les Pèlerins d’Emmaüs vont nous montrer, dans Rembrandt, un peintre plus accompli et un poète plus grand encore.

Le Bon Samaritain, un homme charitable recueillant un voyageur blessé sur une route, c’est bien un de ces sujets simples, humains, qui plaisaient à l’âme facilement apitoyée du bon Hollandais. Il l’avait déjà traité, au moins une fois, à l’eau-forte, en 1633. Scène en plein jour, devant un perron d’auberge rustique ; tandis que le Samaritain fait son prix avec l’hôte, un valet soulève