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et le plus ému. Comme Rembrandt, parmi tant d’honnêtes prosateurs, presque seul, Ruysdael est un poète ; comme lui, sans avoir vu l’Italie, il a respiré naïvement, à travers ses œuvres, le grand souffle de la beauté et de la noblesse antiques. Il voit, il analyse, avec la même perspicacité qu’Hobbema et Potter, tous les détails des prairies plates, des buttes sablonneuses, des buissons rabougris, des chaumières délabrées, mais il les admire d’un œil amoureux, et il les chante ensuite, sur un plus large rythme, et d’une voix plus inspirée. Le Louvre est un des lieux du monde où cette grande voix résonne le mieux, en des œuvres sincères, sans se gonfler, sans se forcer, naturelle et claire, vibrante et pénétrante. La Tempête sur les digues, le Buisson, le Coup de soleil, la Forêt comptent justement parmi ses chefs-d’œuvre les plus émouvans, parce qu’ils sont les plus simples, surtout les trois premiers, où des figurines anecdotiques, dues à un collaborateur, ne viennent pas, comme dans ses tableaux de commande ou de vente, troubler une impression profonde à laquelle elles restent étrangères.

Deux toiles de Jan Wynants (1625-1682), compatriote des Ruysdael, qui, comme eux, mais avec moins de hardiesse et plus de réminiscences traditionnelles, contribua à développer, dans l’école de Harlem, le goût du site naturel, deux autres d’Allart van Everdingen (1621-1675), l’ami de Jacob, et qui lui fournit sans doute ses modèles de paysages norvégiens, avec arbres brisés, torrens et cascades, dans ses heures de détresse, pour les marchands d’Amsterdam, représentent, convenablement, ces deux beaux paysagistes. Meindert Hobbema (1638-1709), le réaliste intransigeant, triomphe, lui, superbement, avec son Moulin à eau. Que de fois il a traité ce motif ! L’a-t-il jamais fait avec plus d’éclat ? Non, jamais, d’une main si sûre, d’un pinceau à la fois si net et si souple, il ne s’est plu à accumuler une multiplicité plus incroyable de détails dans une composition d’une ordonnance si ferme, où chaque chose, restant à sa place, sous la lumière vive d’un ciel pur, garde sa plus haute valeur sans altérer la valeur des choses voisines. Cette merveille de précision reste en même temps une merveille d’impression. Comme les primitifs, naïfs et virils, du XVe siècle, Meindert Hobbema est un adorateur pieux de la vérité, il la veut tout entière, il n’entend lui demander aucun sacrifice ; si sa rudesse est parfois rébarbative, sa franchise est toujours émouvante.