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« La troisième, intitulée Chanaan, célèbre les saints transports du peuple entrant dans la terre promise à ses pères, partageant les biens qu’elle renferme et chantant l’hymne de reconnaissance à l’Éternel, dont la bonté comme la toute-puissance est infinie. »

Cette dernière partie n’est pas la meilleure. Ainsi qu’il fallait s’y attendre, la situation étant donnée, elle renferme une pastorale, et cette pastorale est telle aussi qu’on pouvait la prévoir. Elle se répète plutôt qu’elle ne se développe suivant le rythme de rigueur, trop constamment usité depuis le Hændel du Messie et le Bach de Noël jusqu’à Gounod de Mireille. J’ai tort. Ce rythme n’est pas de rigueur, mais de langueur au contraire, et comme balancé par un « douze huit » indolent. Gloire à Beethoven, le seul peut-être qui dans ne symphonie, pastoral pourtant, n’a subi qu’une fois (Scène au bord du ruisseau) la tradition ou la convention de cette mesure, et cela pour la rajeunir et la transfigurer.

J’imagine que le compositeur fut tenté surtout par l’épisode qui précède, et dont il a fait le centre de son ouvrage : le siège et la prise de Jéricho. Peu de sujets assurément conviennent mieux à la musique. Un autre seul : Amphion bâtissant les murailles de Thèbes, lui fournirait des effets égaux et contraires. Ce que la lyre avait fait, nous voyons ou plutôt nous entendons ici comment les trompettes ont pu le défaire.

Admirez l’heureuse fortune du musicien ! On a vanté souvent son ingéniosité, son adresse à se ménager des rencontres propices. Le hasard même le sert aujourd’hui, le hasard favorable aux habiles comme aux audacieux, et qui fait éclater les fanfares de M. Massenet sous les voûtes mêmes où, quelques semaines auparavant, celles de Berlioz avaient retenti. Elles n’ont pas trop souffert d’un précédent aussi terrible et leur fracas a paru très honorable encore. Le compositeur a suivi littéralement les indications musicales et stratégiques de la Bible. Il a fait sonner sept fois autour des murs les sept trompettes obsidionales. Leur invariable sonnerie se mêle avec aisance aux motifs, plus variés qu’originaux, d’une marche religieuse et militaire. Celle-ci passe par les alternatives et les contrastes classiques de rythme et de mélodie ; elle va, comme il convient, du staccato au legato et du pas redoublé qui se hâte au cantabile qui s’étale ; elle s’achève enfin par je ne sais quel formidable tintamarre de vois, ou plutôt de cris, et d’orchestre, imitant assez bien pour l’oreille et presque pour la vue elle-même l’effet d’une gigantesque démolition,