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s’abandonne et s’échappe, il ne nous laisse jamais indifférens. S’il triomphe de sa faiblesse, il a l’honneur de la victoire, et lorsqu’il y cède, il tombe ou du moins il ploie avec ses grâces coutumières.


Quoi qu’en puissent dire certains wagnériens, plus wagnériens que Wagner, la Cène des Apôtres est une chose admirable de jeunesse, de force, de grandeur et de clarté.

On sait, par M. Malherbe toujours, que cette espèce de cantate chorale pour voix d’hommes et orchestre fut exécutée d’abord le 6 juin 1843, dans l’église Notre-Dame de Dresde, par douze cent quarante choristes, dont quarante placés dans la coupole, et par un orchestre invisible (déjà !) de cent exécutans. Elle a pour sujet la Pentecôte et se divise en deux parties : l’attente et la réception de l’Esprit-Saint.

L’œuvre d’abord est belle en soi ; elle l’est aussi, peut-être plus encore, d’une beauté qui la dépasse et la déborde, d’une beauté faite de ce qu’elle annonce, de ce qu’elle évoque et de ce qu’elle signifie. Elle se divise, disions-nous, en deux parties, et ces deux parties ne sont pas seulement distinctes, mais en quelque sorte opposées : l’une est exclusivement chorale ; dans l’autre l’orchestre s’unit aux voix. La première sans doute est un peu longue ; mais cela ne signifie pas qu’elle soit monotone. Au contraire, par le groupement et le partage des voix, par la succession des mouvemens, par l’alternance de l’unisson avec la polyphonie, surtout par la diversité de l’expression, Wagner a trouvé moyen de rompre l’uniformité de cette oraison commune et seulement virile, d’introduire dans l’austérité de l’ensemble des traits de sensibilité souvent exquis. C’est premièrement le salut affable des disciples s’abordant les uns les autres ; puis, au souvenir du maître qui les a quittés et qu’ils pleurent, si ce n’est une défaillance, c’est du moins une détente, une rémission passagère et qui attendrit. La musique tantôt prie et médite ; tantôt elle résout et veut. Elle était pensée ou sentiment, elle est acte. Après un état elle indique un mouvement, un progrès, une marche et comme une élévation de tout l’être. Les dernières pages du chœur, les suprêmes instances à l’Esprit qui tarde à venir sont véritablement enchanteresses. La voix des ténors descend lentement les degrés, syncopés et formant des pédales successives, d’un chromatisme très doux. « Envoie-nous, murmure-t-elle sans cesse, envoie-nous ton Esprit-Saint. Envoie, envoie-le-nous. » Wagner ici répète les paroles, ce que désormais il ne fera plus guère. Et comme il fait bien de le faire ! Comme ces redites, unies à ces pédales qui