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de l’ouïr. » Double merveille vraiment, la musique ayant sur les autres arts cet avantage, qu’elle semble parfois s’adresser à deux de nos sens, et qu’entre les mains — oui, les mains — d’un tel chef, elle nous devient en quelque sorte visible. On n’entendra jamais un tableau ; mais conduite par un Weingartner, on croit voir une symphonie. Un rapport nouveau, plus large et plus mystérieux, s’ajoute aux innombrables rapports qui la constituent. En même temps que dans la durée, elle existe dans l’espace ; elle s’y révèle et s’y déploie, et ses lignes, ou ses traits, ses mouvemens, sa pensée et sa passion, toute sa vie enfin se trahit par des attitudes, des gestes, et sur un visage humain.

Une symphonie ainsi dirigée est un spectacle, oui, même un spectacle, et prodigieux. L’orchestre alors, notre orchestre moderne, semble avoir retenu ou retrouvé, ne fût-ce qu’en la personne de son chef, quelque chose de l’ancienne orchestique, c’est-à-dire de l’association de la beauté plastique à la beauté sonore. Le talent d’un Weingartner fait une part à je ne sais quelle gymnastique supérieure, très sobre, très noble, toujours expressive, et qui représente ou restitue autant que possible le rôle autrefois capital de l’action corporelle dans la musique. À cet égard, le jeune chef est vraiment doué de tous les dons. Il a le mouvement et la tenue, le geste simple, quelquefois mélancolique et comme rêveur, plus souvent héroïque et triomphant. Aussi éloigné de la roideur et de l’impassibilité que de la contorsion et du délire, il ne tombe jamais dans la paralysie ni dans l’épilepsie. Son bras droit n’est point un métronome et ses deux bras ne sont pas ceux d’un moulin à vent. Tantôt il rassemble, il enveloppe, je dirais presque il embrasse les sons ; tantôt il les précipite, il les anime comme d’une fièvre qui ne serait que l’accroissement de la vie, sans en être le trouble. Alors il lance à fond son orchestre et pour un instant il l’abandonne, il le laisse aller. Attentives et toujours prêtes, ses mains demeurent immobiles, et du centre ou du foyer de la symphonie, il jouit d’en suivre le développement et le progrès.

M. Weingartner a renouvelé pour nous le sens et l’idéal de certaines œuvres plus que familières. Il a fait le prélude de Tristan sublime surtout d’amour. Il en a déroulé sans fureur, bien qu’avec puissance, les gammes houleuses mais demeurées douces. Les notes finales de la marche funèbre de l’Héroïque sont tombées, ont perlé d’une main qui semblait défaillir et les répandre comme les dernières gouttes d’une libation sur un tombeau. Mais les merveilles, ou les miracles, ce fut le céleste prélude de Lohengrin ; ce fut le fulgurant Venusberg ; ce