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original dans l’évolution du roman ; et parfois même ce louable souci de l’exactitude historique lui fait perdre de vue jusqu’aux principes généraux dont il est parti, de telle sorte que certains des derniers chapitres de son livre, notamment, ne sont plus guère que des essais sur George Eliot, sur M. Hardy, sur R. L. Stevenson, sans que nous voyions nettement le fil qui les relie aux chapitres précédens. Mais ce ne sont là que de légers défauts, sur lesquels, d’ailleurs, je n’ai point qualité pour lui faire la leçon. Et ces défauts n’empêchent pas son livre d’être, incontestablement, un des plus intéressans qu’ait depuis longtemps produits la critique anglaise : car non seulement il nous renseigne sur un sujet d’une extrême importance, mais il nous montre encore, d’une façon générale, les avantages précieux qui résultent, pour le critique comme pour l’historien, de l’emploi de la méthode qui s’y trouve suivie.


Je viens de dire que, dans les derniers chapitres du livre, l’auteur semblait s’être relâché de cette méthode, pour étudier isolément l’œuvre des divers romanciers anglais contemporains. Sur George Eliot, sur M. Hardy, sur Stevenson, il avait à nous faire part de tant de réflexions et d’observations personnelles qu’il a un peu négligé de reconstituer la filiation de ces écrivains : il les a traités, pour ainsi parler, « en repos, » tandis que c’est « en mouvement » qu’il nous avait fait voir les Richardson et les Fielding, les Dickens et les Thackeray. Et quelle que soit la valeur des essais qu’il leur a consacrés, ces essais sur les romanciers contemporains ne nous paraissent, à beaucoup près, ni aussi instructifs ni aussi amusans que les chapitres où il nous a montré Fielding réagissant contre le sentimentalisme de Richardson, ou Walter Scott imprégnant de son génie le « roman gothique » de Walpole et de Joseph Strutt. Entre ces remarquables essais et les chapitres qui les précèdent, la différence est celle qui sépare la critique de l’histoire ; et, quel que soit le mérite de la critique, seule l’histoire est pour nous vivante, elle seule nous attire, nous retient, nous touche, elle seule pénètre assez en nous pour y laisser des traces. D’un chapitre à l’autre, curieusement, nous suivons le récit des aventures successives qui modifient, en vingt manières différentes, la forme et les sujets du roman anglais ; nous nous intéressons à ce genre littéraire comme s’il était lui-même un héros de roman. Et j’ajoute que ce que nous apprenons de lui, par cet agréable moyen, nous instruit davantage que tout ce qu’ont pu nous dire les meilleurs critiques : car, d’abord, nous apprenons toute une série de faits positifs et précis, à commencer