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LE TRAVAIL MENTAL
ET LE
COLLECTIVISME MATÉRIALISTE

Les systèmes collectivistes, du moins ceux qui se rattachent au « matérialisme économique et historique, » sont trop souvent fondés sur la considération exclusive du travail manuel et du sort des ouvriers. Leur tendance est de négliger ou de rejeter au dernier plan le travail mental et moral, de ne pas le reconnaître là où il se cache, de le méconnaître là même où il éclate. Qui donc a défini le matérialisme économique : la révolte des bras contre la tête ? Cette erreur finit par se répandre en dehors même des collectivistes. N’entendons-nous pas chaque jour classer les professions libérales au nombre des « improductives, » souvent par des hommes qui y sont adonnés, parfois même par des littérateurs soudainement enivrés de ce qu’on nomme d’un terme barbare « l’industrialisme ? » Il semble, à les entendre, que les travailleurs d’esprit soient des « parasites ! » Depuis que Rousseau a fait l’éloge du travail manuel, on a vu plus d’un romantique s’éprendre de la menuiserie ou du labourage. George Sand, dans le Compagnon du tour de France, trouvait, chez les travailleurs de la terre, des modèles idylliques. En 1848, bien des bourgeois faisaient apprendre à leurs enfans des métiers manuels. Tolstoï, même de nos jours, en est encore au temps de Rousseau ou de George Sand. Il s’imagine que le remède à tous nos maux, c’est de revenir au travail manuel : labourer la terre, « pétrir soi-même son pain ! » Il ne se demande pas si le vrai sens de l’évolution ne serait pas justement inverse, et si le travail manuel ne doit pas disparaître de plus en plus dans le travail mental.