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C’est, si l’on veut, une pièce sociale, mais sans thèse : l’auteur y marque l’opposition entre la vie facile du riche, qui détend la volonté, et la lutte où les forces se trempent, où le caractère s’ennoblit ; entre le préjugé qu’entretiennent certaines conventions issues, comme l’oisiveté, de la fortune, et les vérités simples qui se découvrent à travers l’effort ; et, pour tout dire en un mot, entre l’homme de luxe et l’homme de travail.

Au lever du rideau, nous assistons à la débâcle d’une famille ruinée : Giovanni Rosani a perdu tous ses biens dans quelque spéculation ; avec de l’habileté, il en aurait pu sauver une partie ; mais, comme il est honnête homme, il n’a songé qu’à désintéresser ses créanciers. Il va quitter Milan avec sa famille : Giulia sa seconde femme, et les deux enfans qu’il a eus d’un premier lit : Tommy, jeune homme de vingt-sept ans, et sa sœur plus jeune, Irène, qu’on appelle familièrement Nennele. Un de ses neveux, Massimo, qui est ingénieur à Genève, lui a procuré dans un bureau une petite place : 250 francs par mois. C’est tout ce qu’on aura désormais pour vivre, car Tommy n’est bon à rien. Giulia, qui peint un peu, parle de vendre ses tableaux ; Nennele, qui a eu une gouvernante anglaise, parle de donner des leçons. Hélas ! on sent bien que ni l’une ni l’autre n’apportera grand’chose à la bourse commune, à laquelle Rosani aura seul à pourvoir. Il est du reste, selon son expression, un « bœuf de travail : » le travail ne l’effraye pas, mais il n’est bon qu’à travailler ; il n’a su ni élever ses enfans, ni diriger sa famille. Il les enrichissait, et croyait remplir tout son devoir : de fait, aussi longtemps qu’ils ont été riches, personne ne s’est aperçu de leurs défauts ; on les pressent dans le désarroi du départ, quand Tommy, en knickerbockers, emporte sa raquette de lawn tennis, ou quand Giulia liquide avec de mauvaises petites ruses des dettes qu’elle espérait oublier ; ils vont éclater dans l’adversité.

Car à Genève, les chétifs honoraires de Rosani, s’ils suffisent à peu près au train du ménage que Nennele dirige avec sagesse, laissent Giulia et Tommy dans une gêne dont ils ne savent pas prendre leur parti. Tommy avait eu la chance, pendant que son père achevait de se ruiner, de gagner une douzaine de mille francs au jeu, et Giulia avait réussi à conserver quelques billets de banque. Que faire, une fois cette réserve épuisée ? Giulia compte sur les pochades qu’elle brosse dans le verger, en compagnie d’un peintre norvégien qui lui fait la cour ; en attendant, elle met la main, quand elle peut, sur l’argent du ménage. Quant à Tommy, il joue chez une étrangère mal famée. Un instant, son cousin et son père parviennent à l’émouvoir :