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en finissant, Monsieur le Président, de faire appel de vous-même à vous-même. Jusqu’à ce jour, et je saisis l’occasion de vous rendre publiquement cet hommage, vous avez laissé aux débats que vous présidez une liberté entière. Si vous restreignez aujourd’hui cette liberté, vous entrez dans une voie fatale, et vous le regretterez.

Morny. — J’ai indiqué dans quels principes je suis, et dans quelles limites j’entends maintenir l’orateur. Je prends la Chambre elle-même pour juge de cette limite : je vais laisser M. Ollivier continuer son discours ; mais, si la Chambre trouve que, dans ses développemens, il se met en dehors de la discussion et qu’il n’apporte aucune lumière à la délibération sur le budget, je lui interdirai la parole. »

Je repris mon discours, j’examinai à mon aise l’état de la législation, la manière dont le gouvernement l’appliquait et l’influence que ses pratiques exerçaient sur la marche des affaires publiques. M’adressant à Baroche, qui, dis-je, représente tout le monde, je l’interpellai sur la manière dont le ministre de l’Intérieur avait exercé son pouvoir discrétionnaire. Afin de mieux marquer encore que l’empiétement que je poursuivais était exclusivement politique, je conclus par des considérations générales ne se rattachant ni de près, ni de loin à l’ordre financier : « Direz-vous, pour avoir un prétexte de ne point tenter l’épreuve de la liberté de la presse, que les anciens partis n’ont pas désarmé et que leurs menées vous contraignent à veiller ? Le temps des anciens partis est fini : les esprits éminens qui les conduisaient en sont aussi convaincus que moi-même. Un pays ne se donne pas deux fois aux mêmes hommes ; quand on l’a tenu dans ses mains, qu’on l’a laissé échapper, on ne le reprend plus. Sans se préoccuper de ceux à qui elle a accordé sa confiance dans le passé et qui n’ont pas su la garder, la France poursuit infatigablement le but entrevu en 1789, l’alliance de la démocratie et de la liberté. Sans la démocratie, la liberté n’est que le privilège de quelques-uns ; sans la liberté, la démocratie n’est que l’oppression pour tous. L’union de ces deux puissances, trop souvent divisées, voilà ce que la France désire, ce qu’elle appelle, ce qu’elle obtiendra. »

En ne m’interrompant pas, Morny avait paru se faire mon complice. Il voulut se dégager de ce reproche, qu’il lisait sur le visage des membres de la majorité : « Si l’on suivait la pente sur