ne va-t-on pas supprimer les privilèges des nobles ? Les bruits les plus absurdes trouvent créance parmi ces gens ignorans et crédules. Tous les intérêts se sentent vaguement menacés. Quand un fonctionnaire tourne, toute la population tourne avec lui, comme il est arrivé dans le nord. Ou bien des tribus entières se mettent en insurrection, en croyant sincèrement servir la France comme sur la côte est. » Un mois plus tard, le même correspondant avait écrit : « Je sens le pays s’effondrer sous nous... Si l’on ne change pas de tactique,... l’insurrection deviendra générale, nous serons bloqués dans Tananarive, et l’expédition sera complètement à recommencer. » Puis encore, en juillet : « Notre situation a peu changé, et, par le seul fait qu’elle ne s’améliore pas, elle s’aggrave. Tout croît en effet, avec le temps : la démonstration de notre impuissance, la ruine du pays insurgé qu’on achève de piller et d’incendier, l’inquiétude des pays encore tranquilles, la désaffection générale, l’exaspération qui échauffe tous les esprits parmi les Français, militaires, fonctionnaires, missionnaires et civils, et nous met en pleine anarchie. »
Cette ébauche de la situation à Madagascar, vers le milieu de 1896, est très exacte et montre quelle était l’extrême variété des causes qui avaient déterminé les troubles et favorisé leur développement. Sans doute, une idée simple s’en dégageait : il fallait avant tout concentrer des pouvoirs jusque-là trop divisés ; il fallait encore affirmer d’une manière éclatante aux yeux des indifférens et des hostiles l’autorité, désormais définitive, de la France. Mais cela même ne suffisait pas : une application soutenue était indispensable pour démêler les fils des intrigues qui s’entre-croisaient dans les milieux malgaches, appliquer à chacune des passions contraires qui déterminaient l’incertitude et la rébellion le remède convenable, et, une fois l’autorité restaurée, imprimer une direction effective et sagace aux agens de tous ordres, européens ou indigènes, appelés à concourir à l’œuvre de la pacification.
Pour éloignées de nous que semblent de prime abord les civilisations africaines, lors même que, comme celle de Madagascar, elles sont fortement imprégnées d’élémens asiatiques, une analyse minutieuse n’en conduit pas moins à y retrouver les traits essentiels et communs de toutes les sociétés humaines : sous d’autres formes et d’autres noms, et aussi dans une mesure différente, les mêmes conflits de personnes, d’intérêts ou de coteries s’y élèvent,