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chef. Livré à lui-même, M. Constant se serait donc facilement consolé de l’expulsion des Bourbons qu’il jugeait incapables d’aider à leur propre salut. Mais ses amis, mais la société qui le recevait étaient fort animés, les conversations ardentes, tout respirait le dévouement et la volonté de résister. M. Constant, alors amoureux de Mme Récamier, passait toutes ses soirées chez elle. Dans ce salon, très royaliste et très libéral, paraître tiède et résigné, n’aurait pas été un moyen de plaire à la maîtresse de maison. M. de Forbin arriva en uniforme ; il semblait devoir tout pourfendre. Mme Récamier lui faisait une mine gracieuse. « Ce fut le grand sabre de M. de Forbin qui me perdit. Je voulus aussi faire montre de dévouement. Je rentrai chez moi et j’écrivis l’article du Journal des Débats. » Voilà ce qu’il me raconta lui-même. Cet article fit grand bruit, il est devenu célèbre et a décidé du sort de M. Constant. « Je n’irai pas, misérable transfuge, me traîner d’un pouvoir à l’autre et balbutier des mots profanés pour racheter une vie honteuse. » Peu de temps après, Joseph Bonaparte présentait Benjamin Constant à l’Empereur, et l’ami de Mme de Staël acceptait le titre de conseiller d’État, se chargeait de rédiger l’Acte Additionnel. Ce qui ne l’empêcha nullement de continuer à fréquenter tous les soirs chez Mme Récamier. Et Barante ne pouvait se défendre d’aimer son esprit, tout en n’estimant guère son caractère ; se laisser tout dire, avoir l’air de persifler la cause qu’il servait, une telle conduite n’était pas pour étonner beaucoup ceux qui avaient le secret de cette âme inconsistante et mobile. Il y a des personnes dont l’esprit, le cœur, l’intelligence sont tiraillés en sens contraires : chez Benjamin Constant, chacune de ces facultés se divisait en vingt sous-facultés, qui paraissaient en lutte perpétuelle les unes contre les autres. « Je suis furieux, s’écriait-il un jour, mais cela m’est bien égal ». Ce mot le peint assez bien. Il fut question on 1815 de le bannir : il pria M. Decazes de remettre au roi une lettre justificative ; elle était si bien écrite que Louis XVIII, qui se piquait de bel esprit, le raya de la liste de proscription. « Vous avez persuadé le roi, observa un ami. — Je le crois bien, reprit-il, je me suis presque persuadé moi-même. »

Avec la seconde Restauration, Barante devient conseiller d’Etat, secrétaire général au Ministère de l’intérieur, directeur général des Contributions indirectes, les électeurs du Puy-de-Dôme, de la Loire-Inférieure l’appellent spontanément à les représenter