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voilà l’ennemi ! » Une trentaine d’écoliers sont là, les uns, moussaillons imberbes, encore frais et roses comme des filles, les autres, déjà des hommes faits, avec des toisons hérissées, des mains énormes, et des yeux aigus de pirates.

Nous tombons à merveille : c’est jour de distribution des prix. Quelques livres, offerts par la Société bretonne de géographie, sont empilés dans un angle. Debout dans la chaire, — un pauvre bureau vermoulu, — M. Guillard commence la lecture du palmarès. Oh ! il n’est pas long. Dix ou douze noms échelonnés au verso d’un bout de papier, c’est toute la liste. Voici s’avancer, en u louvoyant, » la procession des lauréats. Ils sont rayonnans et piteux tout ensemble. Ils tournent machinalement leurs bérets de laine rousse entre leurs doigts. Leur démarche a quelque chose de l’allure dégingandée des oiseaux de falaises lorsqu’ils cheminent à terre, les ailes pendantes. Parfois, il arrive que l’élève désigné ne réponde pas à l’appel de son nom. Une voix, alors, jette dans le silence :

— Il est en mer !

Et ces mots si simples : « en mer ! » communiquent soudain à nos âmes je ne sais quel frisson. L’humble classe s’est comme transfigurée : il semble que nous y respirions toute la poésie aventureuse, toute l’héroïque ivresse du large. Le large ! mais il est là, tout proche. Nous en pouvons, par les fenêtres ouvertes, suivre au loin l’immense courbe dorée. Des cotres grésillons passent dans le champ de notre vue, toutes voiles au vent, leurs tangons de pêche pointés comme deux antennes. Tout ce grandiose du dehors emplit la misérable pièce où nous sommes venus nous asseoir pour une heure, lui prête une majesté singulière, en fait comme le vestibule de l’infini...

La cérémonie close, M. Guillard nous donne, pour nous piloter dans l’île, un de ses jeunes apprentis-pêcheurs. C’est un garçonnet d’une quinzaine d’années à peine, mais qui n’en compte pas moins à son actif quatre « campagnes de thon. » Il nous dit, chemin faisant, les joies et les angoisses du métier, les longues navigations errantes, pendant des semaines, des mois même, à des cent et des deux cents lieues, souvent jusque dans les parages inhospitaliers de la côte de Biscaye. Il nous dit les grosses lignes qui traînent, fixées aux tangons et appâtées avec de la peau d’anguille, quand ce n’est pas avec une feuille de maïs ou moins encore, avec un simple chiffon.