La discussion de leur amendement sur la politique intérieure était attendue avec une curiosité particulière, parce qu’elle devait les amener à s’expliquer sur l’évolution récente de la politique impériale. Ce jour-là (14 mars 1861), les tribunes furent envahies par l’élite du monde officiel : on remarquait au premier rang la princesse Clotilde et le prince Napoléon.
Pour se dispenser de remercier l’Empereur, Jules Favre remercia Dieu : « Savez-vous ce que j’admire dans ces décrets ? C’est la puissance irrésistible, bien que cachée, de ces droits, de ces principes primordiaux dont Dieu ne permettra jamais l’anéantissement. C’est vers sa sagesse éternelle que monte ma reconnaissance. » Il marqua aussitôt combien il savait peu de gré de la liberté qu’on venait de concéder en la poussant à l’excès. Il critiqua le système électoral municipal et la législation de la presse plus acrimonieusement qu’il n’avait jamais fait.
Je l’avais écouté avec malaise ; je ne trouvais ni loyal, ni juste, ni habile d’accueillir par un redoublement d’hostilités un acte aussi libéral, et je croyais que nous étions tenus à remercier quelqu’un de moins éloigné que Dieu. Néanmoins, sentant que mon ton serait bien différent de celui de mon collègue et qu’il pourrait s’ensuivre quelque froissement, j’hésitais à parler, quoique je m’y fusse engagé. La façon mesquine dont Baroche rapetissa l’acte impérial en répondant à Jules Favre triompha de mes hésitations. Dès mes premiers mots, je laissai échapper mon sentiment et je témoignai notre gratitude pour le Décret, « dont nous pouvons souhaiter l’extension, mais dont nous reconnaissons et le courage, et la générosité, et le bienfait. » Puis, je m’efforçai de me restreindre à la discussion des argumens de Baroche et de ne pas m’élever au-dessus de cette arène étroite. Plus d’une fois, je me sentis prêt à m’échapper où je ne voulais pas aller, plus d’une fois je me ressaisis ; mais la lutte intérieure qui m’agitait devenait à chaque instant plus violente ; enfin l’obsession intraitable de la conscience fut la plus forte, l’inspiration m’emporta. J’oubliai où j’étais, qui m’entourait, je n’eus plus aucun souci de la surprise, du mécontentement, des colères que soulèveraient mes paroles ; m’abstrayant de toute prévision et de tout calcul, d’un mouvement